Une contribution de Mohamed Abassa – Des bons et des mauvais génocides

On ne peut reprocher à un pape, encore moins au pape François, un quelconque déficit en connaissances historiques, un déficit de mémoire ou même un quelconque handicap intellectuel. Juste, un peu moins que ces prédécesseurs, quelques graves déficiences politiques dont les papautés antérieures étaient coutumières depuis les Borgia, les Médicis et, un peu plus, avec Pie XII dont on ne peut que déplorer ici la cécité politique sur les génocides d’Hitler et de Mussolini commis sur les civils juifs européens, sur les civils africains (libyens et éthiopiens) et sur les résistants français et italiens. En ces temps-là, l’Eglise était étonnement discrète pour ne pas dire muette. Sur la lancée de ses prédécesseurs immédiats, le pape François, dont on devine l’immense bonté pour tout ce qui est chrétien, déplore et dénonce les trois génocides du siècle dernier : le massacre des Arméniens chrétiens, les massacres nazis contre les juifs et les massacres du stalinisme communiste, du Rwanda, du Burundi et du Cambodge. Ce qui d’évidence porte à s’interroger sur ces bien étranges restrictions épistémologiques et ces étranges trous de mémoire de Sa Sainteté. Pourquoi être comptable de seulement trois génocides et autres suggérés accessoires par le non-dit, et pourquoi sur un seul siècle ? Les Etasuniens comptent, à eux seuls, plus de 2 000 agressions militaires directes contre des pays souverains, 402 traités de paix par eux violés, et, résultat de la course, plus de 50 millions d’êtres humains massacrés par leurs armées dans les cinq continents. Personnellement, le massacre d’un seul être humain pour le motif de ses idées, de sa peau, sa religion, sa race ou ses croyances constitue en soi un génocide. Il y aura toujours génocide qu’importe le nombre ou la justification des massacres d’innocents commis. Tuer quelqu’un parce qu’il est juif, chrétien ou musulman, athée ou agnostique ou rien de tout cela, est un génocide. Saluons d’abord le courage du cardinal Jorge Mario Bergoglio devenu pape François d’initier et de sensibiliser enfin l’Eglise catholique à la condamnation des génocides dont ont été témoins passifs et consentants les contemporains pontificaux des fascistes génocidaires qu’étaient Hitler, Mussolini, Franco et Staline. Qu’ont fait les papes Pie XI, Pie XII et Jean XXIII pour soulager les souffrances des peuples maghrébins, africains, vietnamiens, palestiniens spoliés de leurs terres, de leurs biens avec le silence, le soutien et, aussi, la complicité de l’Eglise ? Rien. Qu’a fait la papauté de Pie XII pour dénoncer les massacres de civils algériens, 40 000, un véritable génocide, le 8 mai 1945, à Sétif ? Rien. C’était peut-être un bon génocide ! Restons toujours dans le dernier siècle choisi par le pape François pour dénoncer les génocides qu’il limite au siècle dernier. Il a sûrement bien fait de condamner, tardivement certes, les atrocités commises contre des chrétiens arméniens, contre les Rwandais, contre les Burundais et les Cambodgiens ; c’est bien de dénoncer ces génocides-là. Mais pourquoi diantre s’arrêter en plein milieu de la dénonciation ? Pourquoi se taire et occulter les autres génocides bien plus récents, bien plus contemporains des préoccupations de Sa Sainteté ? L’Irak, 1,6 million de massacrés, de gazés, de mutilés au napalm, de civils déchiquetés et pulvérisés à l’arme nucléaire, de bébés massacrés par milliers, condamnés à mort parce que privés de médicaments et de nourriture par les grands criminels de guerre que sont les Bush père et fils. Et Ghaza ? N’est-ce pas un génocide quand l’Etat fasciste et raciste d’Israël prive tout un peuple mis en quarantaine, en apartheid, sans eau, sans nourriture, sans médicaments, sans électricité, sans rien. Et quand ce peuple écrasé de partout crie aïe, ça suffit, Israël lâche contre des civils palestiniens désarmés la plus puissante armée de la région, massacrant, détruisant et incendiant tout sur son passage. N’est-ce pas un génocide contre des populations civiles désarmées, mille fois chassées de leurs terres par ces mêmes tueurs qui n’arrêtent pas de les poursuivre ? De les pourchasser ? N’est-ce pas un odieux génocide que d’envoyer ses armées de terre, de mer et de l’air pour massacrer des bébés, des enfants et des femmes ? Avec les silences consentants des présidents-dictateurs arabes soumis et encadrés par la CIA, des rois, roitelets et émirs sous contrôle direct du Mossad. N’est-ce pas un immonde génocide que d’armer, financer et soutenir un million de djihadistes incultes et fanatisés, Daech, portés par un régime barbare et infra-féodal, l’Arabie des Ibn Saoud, dont les universités enseignent toujours que la Terre est plate et la femme est une petite chose, un gadget, pour l’homme. Leurs livres enseignent encore que c’est Dieu qui leur a offert et délégué son pouvoir sur tout un peuple qui ne dispose, lui, d’aucun droit sauf celui d’obéir aux Saoud. C’est de Dieu qu’ils disent tenir le pouvoir absolu de décapiter, de mutiler, de lapider tous les jours et publiquement des centaines d’êtres humains, dont les comportements leur déplaisent. C’est au nom de Dieu que les Ibn Saoud (roi Khaled) ont fait appel aux commandos français du capitaine Paul Barril (20 novembre 1979 sous la présidence de Giscard d’Estaing) pour massacrer des opposants réfugiés dans la grande mosquée de La Mecque sacrée, Masdjed El-Haram. Tous les insurgés y furent massacrés, gazés. Les survivants, 320, ont été décapités publiquement dans les principales villes du royaume. N’est-ce pas un génocide en pleine période de pèlerinage ? Avec le soutien et les encouragements grossièrement cachés des Etats-Unis, de la France et, plus ouvertement, celui d’Israël. Résultat : 250 000 civils syriens des deux camps massacrés, des civils surtout. 2 millions de réfugiés. N’est-ce pas un génocide ? Mais là, le saint Vatican n’y voit que les victimes chrétiennes, 0,1%. Et les autres, camarade ? C’est du bon génocide là aussi. Là je me suis fait violence en me limitant aux seuls génocides du seul dernier siècle des derniers colons et des tout derniers impérialistes. Et les autres génocides alors, les plus graves et les plus odieux, ils n’existent pas ? Ces génocides des cinq derniers siècles où donc sont-ils passés dans la mémoire du saint pape ? Et ces crimes monstrueux passés à perte et profits durant ces siècles qui ont vu souffrir et périr, par dizaines de millions, des êtres humains ? Sont-ils oubliés, gommés parce que l’Eglise, la chrétienté et l’Occident y sont impliqués jusqu’à l’os ? L’occupation et l’évangélisation des Amériques par l’Eglise et les Européens, Anglais, Espagnols, Portugais, Hollandais et Français en tête, ont provoqué des millions de morts, des centaines de génocides ! Qui en parle ? Personne. Est-ce de bons génocides ? Qui ne dit mot consent. Qui a exterminé, il y a moins de trois siècles, les Sioux, les Apaches, les Navarro, les Cheyenne, les Cherokee, les Creeks, les Iroquois, les Esquimaux ? Tous massacrés, leur bétail aussi et leurs récoltes incendiés pour les faire mourir de faim et de maladies, pour les exterminer, éteindre à jamais leurs races. Un ethnocide programmé et soutenu par l’église. Ceci juste pour les Etats-Unis et leurs voleurs de terres et de vies que leur cinéma raconte et décrit comme des héros alors qu’ils ne sont que des assassins. L’épopée du Far West n’est rien d’autre qu’une fumisterie cachant et maquillant une multitude infâme de génocides successifs dont l’Eglise était partie prenante.
L’extermination des civils algériens
Epopées odieuses dont s’est inspirée l’armée coloniale française pour tenter d’éteindre à jamais la race algérienne, sur les conseils avisés d’un illustre et odieux conseiller en génocides organisés, le sinistre auteur De la démocratie en Amérique Alexis de Tocqueville, que des Algériens incultes citent encore, de nos jours, comme référence respectable en évoquant cette petite ordure en matière de démocratie. Pour les autres Amérindiens, le Mexique surtout, les génocides organisés, soutenus et financés par l’Eglise romaine ont coûté plus de 62 millions de morts d’indigènes, causées essentiellement par les crimes et assassinats commis par les Conquistadors évangélisateurs au nom et au service de l’Eglise, des maisons royales occidentales et de l’Occident colonial. Pour suppléer les forces de travail indigènes décimées et massacrées dans les Amériques réduites et conquises, l’Occident européen, Français en tête, s’est converti au commerce le plus vil et le plus veule que l’homme ait inventé : l’esclavage. Transformer l’homme africain en bête de somme, en animal, en hardes humaines enchaînées, propriétés exclusives d’un autre homme, blanc, riche et qui a droit de vie et de mort sur l’homme noir acheté. N’est-ce pas là aussi le plus affreux et le plus insupportables des génocides contre l’espèce humaine ? Combien de millions de morts africains dans ce commerce abominable ? 20, 30, 40 millions ? Chassés, capturés et vendus comme des Fauves. Quelle honte ce génocide ! Ne pas reconnaître et condamner ces génocides-là, c’est, en définitive, les cautionner. Car le pire des génocides, c’est de les reconnaître par le détail chez les autres et de les taire quand ils sont commis chez soi, dans sa sphère culturelle. Le sujet étant si vaste et si prenant qu’il me tarde d’arriver au seul exemple concret que je vis charnellement et historiquement. Celui de mon pays, l’Algérie, où le terme génocide ne laisse jamais indifférent, quels que soient son bord politique et l’état de sa mémoire. A l’arrivée, par la force, de la France en Algérie, la population algérienne était estimée entre sept et huit millions d’habitants. En 1920, elle était estimée par l’administration coloniale à sept millions d’individus alors que normalement elle aurait dû être atteindre statistiquement, sur la base d’un taux de progression démographique moyen, pendant un siècle, les 11 millions d’habitants. Où sont donc passés les quatre millions d’Algériens manquants selon les prévisions des calculs démographiques ? Dissolution statistique bricolée ? Non. C’est bien plus grave que cela. Alors, pourquoi ce gros déficit démographique ? Pourquoi cette régression démographique de tout un peuple ? C’est tout simplement les effets différés et cumulés de la politique de 100 ans d’exterminations, de razzias, de pillages, de destruction de récoltes, d’empoisonnements des puits et rivières, de tueries collectives, d’épidémies et de maladies provoquées, de gazages et d’enfumades massives de populations civiles sans défense, de punitions et de répressions massives sur les populations réduites à l’état animal. Plus de 200 charniers d’enfumades du Dahra, dont des charniers de familles entières, gazées, pétrifiées avec leurs animaux, griffant les parois des grottes. Des génocides par centaines qui ont valu des gratifications, des promotions et des honneurs à leurs sinistres auteurs : colonels, généraux et maréchaux assassins et grands criminels de guerre pour la plupart et dont les grands boulevards de Paris s’enorgueillissent encore de porter leurs noms. Citons quand même quelques tristes noms de ces auteurs de génocides : Bugeaud, de Bourmont, Pélissier, Cavaignac, Trézel, Saint Arnaud et bien d’autres. Voici quelques témoignages de témoins français sur ces génocides : «Le 18 juin 1845, une semaine après la déclaration de la doctrine Bugeaud, le colonel Pélissier fait asphyxier plusieurs centaines de personnes des Ouled Riah, hommes, femmes et enfants, qui s'étaient réfugiés dans les grottes de Ghar-el-Frechih, dans la région du Dahra près de Mostaganem.» Un soldat de la colonne écrit à sa famille : «Les grottes sont immenses ; on a compté hier sept cent soixante cadavres ; une soixantaine d'individus seulement sont sortis, aux trois quarts morts ; quarante n'ont pu survivre ; dix sont à l'ambulance, dangereusement malades ; les dix derniers, qui peuvent se traîner encore, ont été mis en liberté pour retourner dans leurs tribus ; ils n'ont plus qu'à pleurer sur des ruines.» Après ce massacre, Pélissier se justifie : «La peau d'un seul de mes tambours avait plus de prix que la vie de tous ces misérables.»
«Emmurades» des Sbehas (Ouled Sbih) d’Aïn Merane (du 8 au 12 août 1845)
Saint-Arnaud fera pire que Cavaignac et Pélissier. Le 8 août 1845, il découvre 500 Algériens qui s'abritent dans une grotte entre Ténès et Mostaganem (Aïn Merane). Ils refusent de se rendre. Saint-Arnaud ordonne à ses soldats de les emmurer vivants. «Je fais boucher hermétiquement toutes les issues et je fais un vaste cimetière. La terre couvrira à jamais les cadavres de ces fanatiques. Personne n'est descendu dans les cavernes. Personne que moi ne sait qu'il y a dessous 500 brigands qui n'égorgeront plus les Français. Un rapport confidentiel a tout dit au maréchal, sans poésie terrible ni images. Frère, personne n'est bon par goût et par nature comme moi. Du 8 au 12, j'ai été malade, mais ma conscience ne me reproche rien. J'ai fait mon devoir.» Des dizaines, voire des centaines, de soldats et officiers français racontent, sans états d’âme, dans des correspondances privées familiales ou dans des rapports officiels les massacres collectifs horribles et gratuits commis par la soldatesque coloniale française sur des enfants, des femmes et des vieillards sans défense. Ce que qualifieront Victor Hugo, Jules Ferry et Alexis de Tocqueville de «marche de la civilisation sur la sauvagerie». Ce à quoi répliquera tranquillement l’Emir Abdelkader : «Non, messieurs des Misérables (en français dans le texte), c’est votre sauvagerie qui marche sur notre civilisation. Je reconnais vos traces et vos passages à mes bibliothèques et livres brûlés.» Le Pape serait bien mieux inspiré à penser aux vrais et réels génocides que l’Occident dévastateur et la sainte Eglise consentante portent en leur âme et conscience dans les crimes coloniaux. Posons-nous juste la question de savoir si la sainte Eglise n’est pas l’inspiratrice des premiers génocides organisés par Isabelle la Catholique, ensuite par sa fille Jeanne la Folle, reine de Castille, et de son fils Charles Quint, responsables des massacres et génocides contre des dizaines de milliers de juifs sépharades et de musulmans andalous. On comprend aussi que le grand pape François, dans sa haute et divine mission de bon chrétien, n’oublie pas et n’abandonne pas ses penchants militants qui le portent bien naturellement à se rappeler toujours de certains et à oublier certains autres. Les plus gros génocides qui interpellent parfois la si peu belle conscience de l’Eglise. Pour les génocides français en Algérie, rappelons que la belle France des droits de l’Homme a commis des génocides en trois moments historiques liés dans la continuité. La France a massacré massivement en Algérie en :
– s’y installant militairement par la force (30 ans) ;
– en s’y maintenant militairement par les spoliations, les expropriations et les pillages (80 ans) ;
– en s’obstinant de ne pas restituer un pays volé (20 ans).
Chacune de ces périodes d’horreur a laissé les stigmates encore béants des génocides successifs. Qu’en ont retenu les dizaines de papautés qui se sont succédé durant ces périodes ? Rien. Non, pas rien, une mission civilisatrice des barbares que nous étions à leurs yeux ! Avons-nous évolué depuis ? Pas sûr selon l’avis tranché de M. Sarkozy et, aujourd’hui, celui de Sa Sainteté le pape François. Que Dieu lui pardonne.
M. A.
 

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