Pourquoi le Maroc et Mohammed VI sont intouchables en France
Par Sadek Sahraoui – Le journaliste et professeur marocain de droit constitutionnel à l’Université de Settat (Casablanca), Omar Brouksy, s’apprête à publier une enquête très intéressante sur tous ces hommes et toutes ces femmes qui travaillent dans l’ombre, notamment en France, pour protéger la monarchie marocaine et les intérêts de ses fidèles serviteurs. Intitulée La république de sa majesté, cette enquête soutient que c’est à cette élite que Mohammed VI doit le traitement de faveur dont lui et son pays bénéficient en France.
Pourquoi le rejeton de feu Hassan II y est-il aussi chouchouté ? Dans un entretien accordé cette semaine au site britannique Middle East Eye, Omar Brouksy explique que cette élite constituée en réseau et lobby a des intérêts personnels, économiques, politiques très importants au Maroc. «Elle traverse tous les secteurs : la politique, les affaires, la culture… et son influence à travers les médias est énorme», précise l’universitaire marocain, qui mentionne que quelqu’un comme Bernard Henry Levy (BHL) a, par exemple, beaucoup fait pour faire oublier le Maroc de la torture et promouvoir l’image d’un royaume moderne et respectueux des droits de l’Homme.
Pour donner une idée du poids de cette élite, Omar Brouksy rappelle que la France est le premier partenaire économique du Maroc, qui compte 700 à 800 sociétés ou filiales de sociétés françaises, ce qui représente plus de 80 000 emplois. Des sociétés qui bénéficient d’importants avantages fiscaux et autres. Il faut dire aussi que Mohammed VI et le Makhzen savent graisser la patte ! Il ajoute qu’aujourd’hui, 38 000 élèves marocains sont inscrits à la mission française, la plus importante dans le monde – bien après le Canada, par exemple – et il existe une vingtaine d’instituts français. C’est pour cela que, mentionne-t-on, l’Etat français «se l’écrase» à chaque fois qu’il est question du Maroc.
Il révèle que c’est ce lobby pro-marocain qui, d’ailleurs, a empêché la justice française, en 2014, d’auditionner Abdellatif Hammouchi, directeur de la Direction générale de la surveillance du territoire marocain (DST), dont la tête était aussi réclamée par de nombreuses ONG de défenses des droits de l’Homme pour une sombre affaire de torture. «L’Exécutif français n’a pas eu d’autre solution que de faire appel à Elizabeth Guigou, un des grands soutiens de la monarchie, pour qu’elle impose un protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire entre Paris et Rabat – protocole qui oblige un juge français à se dessaisir de tout dossier impliquant un dignitaire marocain au profit d’un juge marocain. Il faut savoir que ce texte a pu être élaboré avec des conseillers du roi», explique Omar Brouksy.
L’auteur de Mohammed VI derrière les masques attire l’attention sur le fait que l’influence exercée par cette élite a pour conséquence d’affaiblir de nombreuses valeurs, «comme la tolérance, le respect des libertés individuelles, la séparation du politique et du religieux». Pis encore, cette influence, écrit Omar Brouksy, affaiblit le courant démocratique et laïc dans son bras de fer avec les mouvements conservateurs. «Cette relation, très sophistiquée, rappelle la connivence qui existait entre cette même élite française et le régime de Ben Ali. Souvenez-vous, quand, au début de la révolution tunisienne, Michèle Alliot-Marie, alors ministre des Affaires étrangères, avait proposé le savoir-faire français à la police tunisienne ‘‘pour régler les situations sécuritaires’’ (…)», rappelle-t-il.
A ce propos, Omar Brouksy se montre convaincu que la situation ne changera pas sous Emmanuel Macron, qu’il présente comme étant «un membre de la famille». Le chef de l’Etat français, souligne-t-il, connaît très bien le Maroc, en particulier le système financier contrôlé par le palais, car en 2012, lorsque Xavier Beulin a racheté 41% de Lesieur-Cristal à la Société nationale d’investissement appartenant au roi, l’actuel président était banquier-associé chez Rothschild.
Toutefois, l’universitaire marocain indique que malgré ses efforts pour travestir la réalité, l’élite française pro-marocaine n’arrive, cependant, pas à faire oublier que le Maroc n’est pas une démocratie, que «(…) les pouvoirs sont en réalité concentrés entre les mains du roi, que la femme hérite la moitié de ce qu’hérite l’homme, que les Marocaines ne peuvent pas se marier avec des non-musulmans, que plus de 400 personnes sont aujourd’hui en prison pour avoir manifesté pacifiquement dans le Rif…».
S. S.
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