Emigration clandestine : 67% des harraga sont mineurs
Le phénomène de la harga, difficilement quantifiable, intéresse de plus en plus la communauté des chercheurs. Une enquête menée par le psychologue Khaled Nourredine, membre de l’Association pour l’aide, la recherche et le perfectionnement en psychologie (SARP), révèle que 68,74% de ceux qui tentent le chemin périlleux de l’émigration clandestine sont des mineurs. 31,5% ont plus de 18 ans. Mais les premiers résultats de cette enquête indiquent que l’âge des prétendants à la harga oscille entre 14 et 26 ans. A quelques rares exceptions, ce phénomène touche le sexe masculin, avec 48% au Centre du pays, 41% à l’Ouest et 11% à l’Est. Le psychologue, qui s’est exprimé aujourd’hui lors du colloque «jeunes entre malaise de vie et projet de vie» organisé par la SARP, explique l’étendue de ce phénomène par l’absence de perspectives d’avenir dans notre pays et l’idéalisation du monde occidental. Si les jeunes, estime-t-il, tentent au péril de leur vie rejoindre l’eldorado européen, c’est parce que cela est à leur yeux la seule perspective de réalisation de soi. Faire croire que la harga est un acte de désespoir est pour ce chercheur «une vision inexacte et réductrice», car certains jeunes qui choisissent d’émigrer clandestinement le font dans l’espoir de «construire leur identité et tenter de s’affirmer en tant qu’hommes». Pour Hallouma Chérif, professeur de psychologie à l’Université d’Oran, la harga est une réaction d’impuissance face à l’incapacité de se projeter dans le futur. «Ils fuient la lente agonie à la recherche d’un moyen pour vivre en tant qu’eux-mêmes», explique-t-elle, relevant le fait que les jeunes, en pleine adolescence, sont impatients. Ils ne veulent donc pas affronter les vicissitudes de la vie et lutter pour se faire une place au sein de notre société. La psychologue souligne, cependant, que le désir de partir existe aussi bien chez les filles que chez les garçons. Mais la nature patriarcale de notre société fait que les garçons l’expriment plus que les filles, lesquelles sont généralement porteuses de la morale familiale. Sylvie Dutertre, psychologue clinicienne et accompagnatrice des mineurs en situation irrégulière, met en avant, quant à elle, la désillusion de ces gens une fois arrivés à bon port. Elle relève les difficultés qu’ils rencontrent pour intégrer le mode de vie et réaliser ce pour lequel ils ont quitté leur pays. « Ils se retrouvent souvent isolés et confrontés, seuls, à la réalité de la France qui leur renvoie une image plutôt blessante », souligne-t-elle, affirmant avoir assisté à des situations d’errance, des traumatismes divers et des manifestations dépressives. Pourtant, les nombreux cas d’échecs des harraga n’infléchissent pas la tendance haussière du phénomène. Et même la criminalisation en 2009 de l’acte de sortir du territoire national par voie irrégulière ne semble pas dissuader les jeunes à tenter le coup. Selon une étude réalisée par la DGSN et les résultats d’une enquête confiée au Centre national d’études et d’analyses pour la population et le développement (CENEAP), cités par la Commission nationale consultative pour la promotion et la protection des droits de l'Homme dans son rapport 2009 sur les droits de l’homme, 33 % de jeunes Algériens rêvent de s’installer à l’étranger.
Sofiane Benslimane
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