A court d’euros, la Grèce découvre le troc de talents
Informaticien capable de réparer n’importe quel ordinateur, Vassilis Revelas possède un talent précieux dont il fait désormais usage, récession grecque oblige, pour obtenir d’autres services sans débourser un euro. Comme des centaines d’autres en Grèce, où crise et austérité ont fait plonger les revenus, il a recours à un site d’échange de services grâce auquel les compétences de chacun sont accessibles gratuitement : il en coûte seulement un peu de son propre temps. «J’ai consacré 10 heures à réparer des ordinateurs de particuliers, explique l’informaticien. En retour, un électricien est venu rétablir ma ligne téléphonique, quelqu’un m’a coupé les cheveux, un autre m’a aidé à déménager et j’ai même pris des cours d’espagnol.»
Échanges de services et troc de biens ont le vent en poupe en Grèce, qui doit composer avec un fort taux de chômage et de brutales baisses de salaires. Le pays, protégé depuis deux ans de la faillite par la zone euro et le Fonds monétaire international (FMI), a dû prendre de sévères mesures d’austérité pour assainir ses finances publiques. D’après Christina Papadopoulou, une autre utilisatrice de cette «banque du temps» en ligne, environ un millier d’Athéniens sont abonnés au site, et 200 d’entre eux constituent un noyau de membres très actifs qui échangent régulièrement des services. «Je suis allée chez une jeune femme que je ne connaissais pas et dont la maison était sens dessus dessous pour l’aider à ranger ses placards et organiser l’espace», raconte Christina, 33 ans, qui travaille dans l’événementiel. Pour ce coup de main, elle a obtenu trois heures à son crédit sur le site.
Dans ce modèle né du courant anticonsumériste, ce n’est plus le marché qui fixe la valeur du travail, fait-elle valoir : «Nous pensons que nous sommes tous égaux, qu’une heure du temps d’un médecin vaut autant qu’une heure de service d’une femme de ménage.» «C’est un moyen de se procurer ce dont on a besoin quand le système économique vous lâche, renchérit Vassilis l’informaticien. Cela a aussi le mérite de soulever des questions importantes sur la façon dont fonctionne le modèle capitaliste.»
Le troc n’investit pas que la Toile, mais aussi les trottoirs des centres urbains. Sur un marché en plein air à Halandri, dans la banlieue aisée du nord d’Athènes, des badauds essaient des chaussures, choisissent des jouets et repartent avec des piles de livres d’occasion ou de vêtements apportés par des gens du quartier, le tout sans dépenser un sou. «Ce genre de marché a lieu partout où il y a des gens pauvres, dans la plupart des grandes villes. Le système existait avant, mais avec la crise c’est devenu plus nécessaire», assure Kostas Kousis, l’un des organisateurs. «Ici, on échange aussi de la nourriture. Quelqu’un qui a beaucoup de riz peut l’échanger contre de la viande ou des fruits», affirme le musicien. Kostandi Leka, immigrant albanais de 39 ans, est venu au marché de Halandri avec son fils de quatre ans. L’an dernier, son salaire de vitrier a fondu de 1 000 à 650 euros par mois. Les deux tiers passent dans le loyer. Dans les piles, il trouve un jeu de dominos pour son fils et un bracelet pour sa femme. «Pas d’argent», se justifie-t-il.
Pour autant, malgré la tourmente financière que connaît la Grèce, les partisans du troc ne cèdent pas au catastrophisme quant à une possible sortie de la zone euro. «Je ne pense pas que nous allons abandonner l’euro. Ils essaient de nous faire peur pour nous soumettre», estime ainsi Despina Tzeveleki, 31 ans, dont le carton de poupées Barbie trouve vite preneur. «Ce ne serait pas facile de revenir à la drachme, juge la jeune femme, qui vit avec son père dont la retraite a été réduite d’un tiers. Cela aurait de graves conséquences sur l’économie européenne, et même peut-être ailleurs.»
Agences
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