Zone euro : une crise sans fin ?
L’Espagne a fait franchir un nouveau stade décisif à la crise de l’euro. La crise bancaire espagnole a en effet atteint un seuil critique.
L’Espagne a fait franchir un nouveau stade décisif à la crise de l’euro. La crise bancaire espagnole a en effet atteint un seuil critique.
Les banques ont largement financé par le biais de prêts hypothécaires à 30 ans une immense bulle immobilière avant 2008. L’éclatement de cette bulle s’est traduit par un effondrement de l’emploi (près de 24% de la population est au chômage, et 50% pour les moins de trente ans). Les ménages, en pleine crise de solvabilité, ont de plus en plus de mal à faire face aux intérêts de leur dette. Ceci se traduit par un taux de défaut de 8,3% de l’actif des banques, mais, en réalité pour les banques travaillant essentiellement avec la population espagnole, par des taux de défaut de 12% à 15%. La crise touche donc de manière très spécifique une partie des banques espagnoles, les caisses d’épargne et les banques régionales. Le montant des aides publiques a varié depuis le 15 mai de 4,5 milliards d’euros à 50 milliards d’euros, mais il est clair que le processus de révélation des pertes des banques est loin d’être terminé. Au total, le coût est estimé entre 150 et 250 milliards d’euros.
De plus, le gouvernement espagnol est confronté à une véritable crise des finances publiques:
(i) La récession que l’Espagne connaît réduit mécaniquement les recettes fiscales.
(ii) La hausse du chômage, en dépit de mesures drastiques, se traduit par une hausse des dépenses publiques (allocations chômage).
(iii) Le gouvernement central a brutalement contraint les budgets des gouvernements régionaux. Ces derniers, se trouvant de fait exclu des marchés financiers par la hausse brutale des taux d’intérêts, ont réagi en suspendant leurs paiements, provoquant une crise massive des impayés. En réponse, les entreprises ont suspendu le paiement de leurs impôts (TVA essentiellement).
(iv) Le risque d’un effondrement brutal des économies à l’échelle locale a contraint les gouvernements régionaux à reprendre certains de leurs paiements et à demander des aides supplémentaires au gouvernement central (actuellement estimés à 30 milliards d’euros).
Projections budgétaires pour l’Espagne en 2012
2012 (A) 2012 (B)
PIB courant en milliards d’Euros 1083,043 1075,530
Déficit espagnol annoncé en % du PIB -5,4% -5,4%
Taux de croissance nominal prévu par l’OCDE 0,9% 0,2%
Montant du déficit en milliards d’euros 58,138 58,079
Déficit après révision suivant les hypothèses
de décroissance des recettes fiscales -6,5% -6,9%
Montant du déficit en milliards d’euros après révision 70,398 74,212
Déficit en milliards d’euros accru
des subventions aux régions (30 milliards) 100,398 104,212
Déficit en milliards d’euros
accru sur la base de la recapitalisation
du système bancaire, en milliards d’euros 175,398 254,212
Déficit budgétaire en % du PIB -16,2% -23,6%
Source : OCDE et données collectées par le CEMI-EHESS
Le résultat est tel (un déficit allant de 16% à 23,6% du PIB) qu’il est évident que l’Espagne devra rapidement demander l’aide du Mécanisme Européen de Stabilité (MES).
La contagion s’est aussi installée sur l’Italie, certes déstabilisée par les tremblements de terre à répétition qu’elle subit, mais où la politique de Mario Monti touche à ses limites. Obligé, pour tenir ses objectifs, de faire rentrer l’argent rapidement, il a mis sur pied une politique de répression fiscale qui commence à être contre productive. En effet, les mesures prises pour lutter contre la fraude sont sans effets sur les plus gros fraudeurs, mais soumettent petits commerçants, industriels et artisans à une pression fiscale destructrice aux conséquences dramatiques (cas de suicides en fortes hausses et d’actions désespérées contre l’administration fiscale). Les taux italiens sont désormais revenus pratiquement au même niveau où ils étaient en décembre dernier, et ce niveau est insupportable pour un pays qui a une dette publique égale à 124% de son PIB.
Avec le Portugal, entraîné par l’Espagne dans sa chute, et l’Irlande où les besoins de financement ont été sous-estimés, c’est – hors le cas de la Grèce toujours pendant – à une crise de liquidité sans précédent que désormais la zone Euro doit faire face.
Mais cette crise n’est pas la seule, ni même la première, même si elle est la plus visible. Elle est produite fondamentalement par la crise structurelle, engendrée par l’explosion des écarts de compétitivité au sein de la zone Euro. Ces écarts ne cessent de s’approfondir comme en témoignent les divergences de conjonctures entre l’Allemagne et les autres pays. Cette crise-là est le soubassement de la crise de liquidité que nous connaissons actuellement car elle engendre une pression déflationniste meurtrière pour les économies dont la compétitivité s’est dégradée, pression déflationniste qui déséquilibre leurs finances publiques et qui engendre la dette.
Toutes les solutions qui y ont été apportées n’ont été que partielles et temporaires. Les crédits de la BCE n’ont été efficaces qu’environ trois mois. Continuer dans cette voie implique d’affaiblir toujours plus la stabilité financière des pays considérés tout en mettant en cause celle des pays qui, pour l’instant, ne sont pas touchés par le phénomène de contagion.
Cette dégradation constante a deux effets. D’une part, elle est très corrosive pour la confiance en l’Euro, qui est abandonné par de nombreux agents dans et hors la zone Euro. La baisse depuis deux ans de la part de l’Euro dans les réserves mondiales (de 27,6% à 25%) en est l’un des symptômes. D’autre part, on voit depuis quelques mois une migration des comptes privés au sein de la zone Euro (touchant désormais 1000 milliards d’euros), avec l’accélération de la fuite des capitaux hors des pays « à risque » (66 milliards d’Euros pour l’Espagne au mois de mars).
La fin de l’Euro se profile à l’horizon.
Les tentatives des résoudre la crise structurelle par l’équivalent de déflations internes risque d’avoir un coût en emploi exorbitant. Le chômage pour passer de 9,8% de la population active à 20% en France, de 24% à 29% en Espagne, de 21% à 52% en Grèce. Ces politiques ne sont que l’équivalent moderne des politiques de « déflation » mises en œuvre en Europe en 1930 et qui sont les principales causes de l’arrivée d’Hitler au pouvoir.
Une dissolution ordonnée et concertée de la zone Euro pourrait se révéler une solution bien plus préférable.
Jacques Sapir*
*Jacques Sapir est un économiste français, il enseigne à l'EHESS-Paris et au Collège d'économie de Moscou (MSE-MGU). Spécialiste des problèmes de la transition en Russie, il est aussi un expert reconnu des problèmes financiers et commerciaux internationaux.
Il est l'auteur de nombreux livres dont le plus récent est La Démondialisation (Paris, Le Seuil, 2011).