Amar Takjout : «L’Algérie a raté l’occasion de créer un million d’emplois»

Amar Takjout. D. R.

Des investisseurs veulent entrer dans le capital de certaines unités de production du textile. Comment trouvez-vous cette manifestation d’intérêt pour un secteur donné pour mort en Algérie ?

Des investisseurs veulent entrer dans le capital de certaines unités de production du textile. Comment trouvez-vous cette manifestation d’intérêt pour un secteur donné pour mort en Algérie ?

Amar Takjout : Tout investissement dans le secteur de la manufacture est le bienvenu, qu’il soit algérien ou étranger, public ou privé. Nous soutenons et encourageons toute démarche dans ce sens. L’intérêt qu’affichent actuellement de grands Groupes turcs pour produire des vêtements en Algérie ne peut que me réjouir, car cela permettra d’améliorer nos capacités de production et de faire face, un tant soit peu, à la rude concurrence des produits asiatiques qui inondent notre marché. Le secteur du textile, comme toute l’industrie nationale, a besoin de capitaux étrangers mais surtout de savoir-faire. Et les Turcs, à ma connaissance, n’en manquent pas. Ils font partie des rares pays qui ont su et pu préserver leur outil de production, et résister à une concurrence des plus féroces du textile chinois.

Les opérateurs économiques étrangers se montrent souvent frileux, considérant le climat des affaires en Algérie comme désavantageux. Les Turcs ont-ils un autre regard sur notre pays ?

Ceux qui connaissent l’Algérie se rendent compte vite des opportunités d’investissement qu’elle offre et des possibilités innombrables de faire fructifier leur argent. Il se trouve que les Turcs viennent souvent en Algérie, participent à toutes les foires. Au fil des années, ils ont pu tisser des relations et des contacts avec les hommes d’affaires nationaux et les chefs d’entreprise. C’est le cas d’un Groupe turc qui convoite deux usines de textiles. Des responsables de ce Groupe se sont rendus dans ces deux entités de production. Ils ont constaté de visu le potentiel existant. Etant des professionnels, ils ont vite mesuré l’opportunité qu’ils ont de faire de bonnes affaires en investissant dans ces usines. Pour eux, la règle 51/49 ne pose aucun problème. Ils sont prêts à prendre moins que 49% des actions. L’essentiel pour eux c’est de produire des modèles d’habillement qu’ils peuvent vendre facilement sur le marché local et exporter vers d’autres pays où ils détiennent des parts de marché.

Pensez-vous qu’un tel partenariat peut aboutir…

Je ne vois aucune raison pour qu’il n’aboutisse pas, tant qu’il y a la bonne volonté, les compétences et le savoir-faire nécessaires pour ce faire.

L’industrie manufacturière a bénéficié en 2011 d’un plan d’assainissement et d’investissement de l’ordre de 2 milliards de dollars. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Le programme est lancé. Il avance à petits pas. Des entreprises ont été sauvées de la faillite et des milliers d’emplois ont été conservés.

Mais pourquoi le secteur n’arrive toujours pas à se relever ?

Injecter de l’argent ne suffit pas pour relancer l’industrie textile. Il faut des mesures d’accompagnement. La première des choses, il faut rompre définitivement avec la politique des années quatre-vingt-dix qui était préjudiciable au secteur du textile qui a perdu 140 000 postes d’emploi et des centaines d’entreprises publiques ont été fermées. A cela s’ajoute la nécessité de changer les mentalités notamment sur le plan managérial. Le savoir-faire existe mais il faut créer une culture d’entreprise basée sur le marketing.
Il y a également le fléau de l’importation. Le recours excessif à l’importation sans aucune régulation ni contrôle tue non seulement la production locale mais aussi toutes les bonnes idées d’investissement. Le secteur productif souffre depuis longtemps de l’inadéquation entre la volonté affichée par les dirigeants et la réalité du terrain qui est totalement chaotique pour les investisseurs. Je parle là de la bureaucratie, de la lenteur des procédures, de la saturation des circuits et de la lourdeur des mécanismes mis en place. D’ailleurs, à cause de cette situation, la plupart des appels d’offres sont déclarés infructueux.
Il y a aussi les règles établies qui ne sont pas toujours claires. Si les investisseurs ne se bousculent pas au portillon, c’est parce qu’ils ne font pas confiance à notre administration, ni à notre législation changeante.

Vous parlez du mal de l’importation. Celle-ci ne vise-t-elle pas à combler le déficit productif national ?

Il est vrai que tous les pays importent. Mais chez nous, l’importation a pris le dessus sur la production au point où elle l’a totalement étouffée. A titre indicatif, 95% des besoins de l’Algérie en textile et cuir sont importés. Si on produisait 25% de nos besoins, cela permettrait la création d’un million d’emplois. Le secteur de l’industrie manufacturière est pourvoyeur d’emplois. D’où l’importance voire la nécessité de relancer ce secteur en le réorganisant. Le comportement des dirigeants des entreprises doit impérativement changer, celui des travailleurs aussi. Il faut qu’on forme le personnel à tous les niveaux, faire preuve de créativité et faire appel aux artistes et stylistes. Si l’on veut percer, il faut qu’on encourage l’innovation. On ne peut pas, en 2012, continuer à produire des modèles des années 70. Les temps changent, la mode aussi.

Interview réalisée par Sonia B.

Comment (2)

    fériel
    17 juin 2012 - 21 h 16 min

    C’est la malédiction du
    C’est la malédiction du pétrole. Boumediene a tenté la révolution industrielle sans avoir réfléchie à la pérennité des usines clés en mains importées de l’Europe l’investissement dans les ressources humaines a toujours fait défaut. on laisse pas des marges de manœuvres aux managers des entreprises. tout est à revoir

    slimane
    17 juin 2012 - 13 h 23 min

    Quand on importe tout, on
    Quand on importe tout, on finit toujours par être dépouillé de notre richesse. Car, comme le disent les économistes, on exporte de la richesse (des ressources non renouvelables) et on importe de la pauvreté. Comment peu-on espérer fabriquer des voitures quand on n’arrive pas à produire une chaussure ou un pantalon et le placer sur un marché perméable où tout se vend y compris de la friperie. L’Algérie mérite mieux que d’être un énorme dépotoir où le monde entier envoie des déchets.

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