Khaled Nezzar : «Voilà pourquoi on parle de pouvoir des généraux»
La deuxième partie de la longue interview accordée par le général à la retraite Khaled Nezzar à la télévision Ennahar TV, est riche en renseignements. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’ancien ministre de la Défense a déclaré qu’il y a toujours eu un respect mutuel entre lui et l’ancien président Chadli : «Nous nous concertions constamment lorsque j’étais son adjoint à la base de l’Est, avant chaque opération», a-t-il affirmé. A ceux qui accusent les combattants de la base de l’Est d’avoir fourni moins d’efforts que ceux des wilayas historiques, Nezzar s’interroge : «Comment les hommes et les armes seraient-ils entrés si les moudjahidine de la base de l’Est n’assuraient pas les franchissements au péril de leur vie ?» Il explique que la difficulté ne résidait pas dans le franchissement de la première ligne électrifiée, mais entre les deux lignes, car l’armée coloniale avait mis en place la défense mobile dotée d’hélicoptères, d’artillerie, de chars, de postes de contrôle, etc., ce qui ralentissait énormément l’acheminement des armes au profit des wilayas. Pour prouver cet effort monumental des hommes de la base de l’Est, l’ancien adjoint de Chadli a tenu a rappeler que «beaucoup d’unités ont été anéanties lors de ces opérations périlleuses». Interrogé sur les chefs politiques installés en Tunisie, au Maroc et en Egypte, et qui «se la coulaient douce» au moment où les moudjahidine affrontaient les feux de l’ennemi, le général Nezzar a répondu qu’il y avait de l’exagération dans ces propos : «Pour ma part, je n’ai passé qu’une seule nuit à Tunis depuis ma désertion, mais je puis vous dire que ce qu’on dit sur les responsables politiques de l’extérieur est exagéré. Les gens ont tendance à raconter n’importe quoi.» Il explique : «On parle de chefs qui roulaient dans des voitures de luxe. Ces responsables avaient des besoins plus importants que les nôtres. D’ailleurs, si tant est qu’ils roulaient dans de grosses cylindrées, elles devaient avoir été mises à leur disposition par les pays amis qui aidaient la Révolution pour les besoins de la mission qui leur était échue.» Pour lui, il est invraisemblable que les trois «B» aient choisi de vivre dans le faste pendant que les moudjahidine mouraient dans le maquis. Critiquant ceux qui divisent les moudjahidine en plusieurs catégories, l’ancien ministre de la Défense a répondu que «la femme qui préparait la galette avait un mérite d’autant plus grand que nous étions armés et avions les moyens de nous défendre contrairement à elle». Khaled Nezzar est revenu sur la force locale. «Les anciens de l’armée française qui n’avaient pas choisi de rallier l’ALN, pour une raison ou une autre, se sont retrouvés dans les rouages de l’Etat après l’Indépendance, conformément aux accords d’Evian, mais ils ne sont pas aussi nombreux qu’on le prétend», a-t-il expliqué. «Nous avions reçu l’ordre de les désarmer, ce que nous avons fait», a-t-il ajouté. Le général Nezzar a rappelé que Boumediene avait décidé de réintégrer des militaires français dans plusieurs domaines techniques, dont la santé, le transport et l’intendance, ajoutant que la formation à l’école d’aviation de Bousfer était également assurée par des Français. Revenant aux anciens de la force locale, Nezzar a révélé qu’il avait lui-même averti sa hiérarchie de la présence dans les rangs de la gendarmerie d’un membre de cette force qui avait pris les armes contre les Algériens : «Il a été immédiatement radié», précise-t-il. Sur un autre registre, Khaled Nezzar a souligné que Ben Bella avait pour objectif de renvoyer les 50 000 hommes que comptait l’ALN et envisageait de les remplacer par des milices. Khaled Nezzar donne une information d’une extrême gravité : «Ben Bella avait commandé un bateau d’armes, alors que j’occupais le poste de directeur du matériel au ministère de la Défense nationale. Un jour, l’ambassadeur de Chine a demandé à me voir, sachant que la commande n’émanait pas de mon département. J’ai alors averti Boumediene.» Nezzar ajoute que, dans la journée du 19 juin 1965 – c’est-à-dire le jour du coup d’Etat contre Ben Bella –, il avait fait arrêter le responsable des services secrets égyptiens à l’hôtel Aletti, près du port d’Alger. Par ailleurs, des sous-marins de la marine égyptienne, qui se trouvaient dans les eaux territoriales algériennes, avaient formulé la demande d’être ravitaillés en carburant, mais cela leur sera refusé. Ces détails montrent à quel point l’Egypte était omniprésente en Algérie sous Ben Bella.
Ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain
Abordant le sujet délicat du pouvoir des généraux en Algérie, l’ancien membre du HCE s’est demandé : «En quoi les généraux détiennent-ils le pouvoir ? Désignent-ils les ministres ? Leur donnent-ils des ordres ?» Visiblement agacé par cette rengaine, le général Nezzar brisera un tabou en évoquant le concept de «défense nationale» : «La défense nationale ne concerne pas uniquement les militaires ; c’est l’affaire de tous les citoyens.» «En temps de guerre, avertit-il, il y a deux fronts : un front avant et un autre arrière qui soutient son armée sur le plan moral. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. L’armée, nous en avons besoin. Je sais ce que coûte une défaite pour un pays ; le peuple est touché dans sa dignité. Aussi, la sécurité de nos frontières est-elle au-dessus de tout.» A une question sur la dichotomie qui s’est opérée entre le peuple et la hiérarchie militaire, Nezzar répond : «Ceci est vrai et c’est navrant ! Jusqu’à 1988, cela n’existait pas. D’où est venu ce problème ? Il se peut qu’il y ait un ou deux mauvais généraux, comme il y en a partout, mais il ne faut pas extrapoler.» Pour corriger cette image, Khaled Nezzar préconise que la gestion de la sécurité des institutions sensibles de l’Etat, qu’elles soient politiques, économiques ou autres, revienne à des représentants internes et non plus à des militaires : «Monsieur Défense nationale doit faire partie de l’institution même et devra subir une formation en la matière.» C’est cette ubiquité de l’armée qui dérange et fait dire au citoyen que c’est elle qui dirige, selon lui. «Les prérogatives de sécurité de l’Etat relèvent aussi des politiques et ces derniers doivent assumer pleinement leurs responsabilités», a-t-il martelé, avant de rendre un grand hommage à Chadli Bendjedid «qui a permis la restructuration de l’armée, laquelle a conduit à la centralisation du commandement au niveau de l’état-major». «Une restructuration, explique-t-il, qui nous a fait éviter le pire durant les douloureux événements d’octobre 88.»
Sarah S.
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