Asma Guenifi : «Les salafistes prônent l’apartheid et la soumission»
Vous avez pris les rênes du mouvement depuis quelques mois seulement, à un moment où, dit-on, votre association est en perte de vitesse. Qu’en est-il ?
Asma Guenifi : Politiquement et médiatiquement, NPNS n’a jamais perdu de sa force ni de sa place dans le paysage associatif français même s’il semblait à un moment en perte de vitesse. Quand j’ai repris les rênes comme vous dites du mouvement, une crise interne l’agitait, essentiellement une crise de confiance entre les dirigeants et les militants. S’en est suivi une hémorragie interne qu’il fallait stopper. Depuis, cela va mieux. J’ajoute que ce genre de crise n’a épargné aucune des autres grandes associations françaises. Après mon élection, j’avais comme première mission de rassurer les partenaires financiers qui nous subventionnent. Le commissaire aux comptes a rendu son rapport positif le 1er juin 2012 et cela nous as permis de redémarrer. Ma deuxième mission est la restructuration de l’association, elle encore en cours. La troisième est de relancer les activités du mouvement. Le 8 mars 2012, nous avons célébré la Journée internationale de la femme avec panache dans la salle du Haut Conseil de l’Institut du monde arabe à Paris, pour rendre hommage aux femmes arabes qui se sont impliquées dans les «révolutions». Le 18 avril, le mouvement a reçu en son siège les candidates et les candidats à l’élection présidentielle afin de leur demander de s’engager sur dix-huit revendications. En résumé, nous sommes présents autant sur le paysage politique, médiatique que sur le terrain.
Votre association est-elle en contact avec des associations féministes en Algérie ?
Notre mouvement travaille en étroite collaboration avec les associations féministes tunisiennes, marocaines et libanaises. Cette année, et pour la première fois, nous nous sommes rapprochées des associations algériennes avec lesquelles nous allons mener des projets en commun qui visent les femmes et célébrer ensemble le 8 Mars 2013. J’espère construire des liens solides et de confiance avec les associations féministes algériennes qui partagent les mêmes valeurs universelles que les nôtres, c’est-à-dire l’égalité, la mixité et la laïcité, sans nous immiscer dans leurs activités.
Le taux de féminisation du parlement algérien a atteint 30%, soit plus que l’Assemblée française. Faut-il y voir la preuve d’une amélioration du statut politique et social de la femme algérienne, selon vous ?
J’ai félicité cette avancée dans mes interventions publiques pour cette progression significative par rapport à la France qui reste en retard pour appliquer la parité. Même à 30% elle honore l’Algérie. D’ailleurs, cette parité dans le parlement algérien n’est pas le seul acquis féministe. L’égalité salariale est aussi et depuis longtemps inscrite dans la Constitution algérienne et dans les faits grâce au long combat mené par les femmes et les hommes de progrès. Je sais que l’Algérie, mon pays d’origine, a tous les atouts pour devenir un pays démocratique et moderne. Une gouvernance démocratique passe par l’égalité en droits entre les hommes et les femmes, c’est un principe désormais universel.
Dénoncer l’impunité, qu’il s’agisse de faits sociaux ou de décisions politiques, vous vaut sans doute bien des ennuis. Qu’est-ce qui vous anime et vous aide à poursuivre ce combat difficile, y compris dans une démocratie comme la France ?
Vous posez ici une question pertinente et qui touche complètement à la volonté qui m’anime pour continuer ce combat qui, effectivement, est très difficile. L’impunité et l’injustice sont des maux que je n’accepte pas. En Algérie, la tragédie que ma famille, mes amis et de milliers d’Algériennes et d’Algériens ont subie m’a poussé à me révolter contre l’impunité, qui a scandalisé beaucoup d’Algériens victimes ou non du terrorisme salafiste, suite à la loi sur la réconciliation nationale. On ne peut pas continuer à vivre sans le rétablissement de la justice. Et sans inscrire cette tragédie dans le calendrier officiel de l’Algérie. En France, j’ai découvert que, selon les statistiques, tous les deux jours une femme meurt sous les coups de son compagnon. Ce qui m’a révolté et a provoqué mon engagement. J’ai rejoint «Ni putes ni soumises», alors dirigé par Fadéla Amara, la fondatrice du mouvement, et qui luttait contre cette violence. Depuis mon élection, et avec d’autres associations féministes françaises, nous réclamons toujours une loi-cadre pour éradiquer cette violence sinon la réduire. A cause de ça, nous avons subi quelques ennuis mais sans gravité jusqu’ici. En tous les cas, ma lutte, et celle du mouvement que je dirige, contre les violences faites aux femmes et contre l’intégrisme reste mon cheval de bataille. D’une manière générale, l’éradication de l’impunité assurera la protection des citoyens et citoyennes du monde.
Le port du voile lors des compétitions sportives, que vous avez vigoureusement dénoncé et qualifié de «régression totale», a été autorisé par la Fifa, passant outre la règle 50 qui exclut toute forme d’expression politique ou religieuse lors des compétitions sportives. Pourquoi le port du voile vous gêne-t-il ? Y voyez-vous une forme de soumission de la femme au diktat d’une société machiste ?
Le mouvement «Ni putes ni soumises» lutte depuis quelques années déjà contre l’entrisme du salafisme dans les institutions françaises comme les écoles, les universités. Le port du voile en lui-même ne me dérange pas si celles qui le portent sont conscientes de la manipulation qui en est faite par les salafistes. Pour ces derniers, le foulard est une obligation divine pour la musulmane, il véhicule et symbolise un projet de société qui n’est pas compatible avec les valeurs universelles que sont l’égalité, la mixité et la laïcité. C’est sur la tête des femmes que ce projet salafiste est visible. Il prône ainsi l’apartheid et la soumission au diktat d’une société machiste. La Fifa est tombée dans le piège salafiste. Ce faisant, elle a consciemment violé le principe même de la neutralité culturelle et religieuse qui protégeait les sportives de toute forme de discrimination. Obliger les femmes à porter le foulard pour jouer au foot est une aberration totale.
Interview réalisée par Hasna B.
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