Khaled Nezzar : «Les responsables du FLN ont menti à Chadli»
«Nous n’étions pas contre l’arrivée du FIS au pouvoir, bien que le programme de ce parti religieux soit contraire à ce que nous espérions pour le pays», a corrigé le général Khaled Nezzar, lors de son intervention sur Ennahar TV. «Quand on voit ce qui se passe aujourd’hui dans les pays dits du printemps arabe, on constate que les islamistes n’ont pas choisi la voie de la violence et n’ont pas appelé à instaurer un régime théocratique», explique l’ancien ministre de la Défense qui voit dans cette position respectable des Frères musulmans en Egypte et d’Ennahda en Tunisie une preuve que les décideurs avaient raison, à l’époque, de barrer la route aux extrémistes : «Nous avons été élevés sur les principes de Novembre et du nationalisme. De plus, pour être clair, la charia est appliquée dans plusieurs aspects de la vie des Algériens, à l’exemple du mariage», a souligné le général à la retraite Khaled Nezzar. Au sujet d’un document élaboré par son département ministériel, Nezzar a expliqué que celui-ci était, en fait, «une simple étude destinée à notre responsable, c’est-à-dire le président Chadli», indiquant, par ailleurs, qu’une copie du document avait été remise à Mouloud Hamrouche et feu Abdelhamid Mehri, respectivement chef du gouvernement et secrétaire général du FLN à l’époque de faits. «L’étude comportait des éléments intéressants qui, s’ils avaient été pris en considération, nous auraient évité les événements qui ont suivi», regrette Khaled Nezzar. Le document avait été élaboré par une commission présidée par le général Mohamed Touati et qui comptait dans ses rangs les généraux Taghit, Derradji et Lamari entre autres. «En 1991, quand le FIS avait mis fin à la grève des 15 jours, Hamrouche m’a appelé pour me demander de prendre les choses en main ; Mehri a fait de même», révèle l’ancien ministre de la Défense. «Mais je ne recevais les ordres que de mon supérieur hiérarchique ; j’ai attendu que l’instruction vienne du président de la République en personne», raconte l’un des artisans de la décision salvatrice de janvier 1992. «Ce dernier, explique-t-il, m’a effectivement appelé et je lui ai dit qu’il avait des prérogatives et qu’il n’avait qu’à en faire usage. Il m’a alors ordonné d’appliquer l’état de siège. Suite à cela, nous nous sommes attelés à préparer un décret que nous devions présenter au président Chadli.» Khaled Nezzar précise qu’en raison des graves problèmes que posaient les menaces du FIS, «nous avions estimé qu’il fallait mettre sur pied une instance qui réunirait tous les partis politiques, dont le FIS, pour résoudre tous ces problèmes». «Mais le Président n’a pas tenu compte de cette proposition et c’est son droit absolu», souligne Nezzar qui révèle qu’Abdelhamid Mehri n’était pas d’accord avec le contenu du plan de l’état-major de l’ANP, «parce que le FLN ne voulait pas faire partie d’une instance avec un parti prépondérant (le FIS, ndlr) qui lui aurait fait de l’ombre». «Nous avions agi ainsi pour sortir de la spirale de la violence mais nous n’avons pas été écoutés», regrette-t-il. L’ancien homme fort de l’armée affirme que l’institution n’a joué aucun rôle dans l’éviction de Mouloud Hamrouche de son poste de chef du gouvernement : «J’étais présent à la réunion convoquée par Chadli et à laquelle avaient pris part Abdelaziz Belkhadem et Larbi Belkheir. J’avais dit qu’en tant qu’armée, nous estimons qu’un gouvernement qui a failli doit partir», rapporte le général Nezzar, précisant que ce n’était, néanmoins, pas à l’armée de prendre la décision. «Avant de me rendre à cette réunion, dans la journée du 4 juin, c’est-à-dire à la fin de la grève des 15 jours décrétée par le FIS, on m’avait informé que la route était bloquée. J’ai été escorté par un escadron de gendarmerie et il m’avait fallu deux heures pour arriver à Zéralda, car il y avait des obstacles et des tirs étaient entendus», relève Nezzar pour rappeler la gravité de la situation qui prévalait alors. «C’est Belkhadem qui a déclaré qu’il fallait une décision politique et le Président a alors répondu que le chef du gouvernement devait partir», révèle encore le général Khaled Nezzar, qui souligne que l’armée savait pertinemment qu’avec les méthodes violentes du FIS, celui-ci ne pouvait que gagner. Et d’indiquer que certains responsables politiques mentaient au Président à qui ils donnaient de faux chiffres : «Le jour des élections locales qui coïncidait avec le décès de la mère du président Chadli, et alors que nous étions dans l’avion de retour d’Annaba, Chadli demanda à Mehri des informations sur le déroulement du scrutin, et ce dernier lui assura que le FLN allait obtenir 60% des voix au minimum», a-t-il encore révélé. «Si le Président n’avait pas choisi de démissionner au lieu d’affronter la situation, l’armée ne serait pas intervenue», précise le général Nezzar qui affirme qu’il ne se voyait pas aller négocier avec le FIS après tous les actes de violence qu’avait commis ce parti extrémiste et la fuite en avant d’une classe politique défaillante. Nezzar en veut pour preuve les déclarations de l’ancien avocat du FIS, Bachir Mechri, pour qui ce parti «ne représentait pas le courant islamique parce qu’il n’exprimait pas les valeurs de l’islam». Il rappelle non sans amertume les lâches assassinats qui n’avaient pas épargné des enfants en bas âge dont le crâne fut fracassé contre le mur : «A supposer que nous ayons fait erreur, ces gens-là avaient-ils pour autant le droit de tuer ?» s’est demandé le général à la retraite, en prenant l’exemple récent de l’Egypte où le parlement a été dissous bien qu’il ait été élu et qu’il ait siégé deux mois durant, sans que cela mène à la violence. Nezzar rapporte, enfin, cette révélation surprenante de Bachir Mechri qui affirme qu’Abdelkader Hadjar, qui entretenait une relation amicale avec Abassi Madani, avait été chargé par Chadli de transmettre à ce dernier un message verbal du président de la République en aparté. Chadli expliquait au premier responsable du FIS qu’il était prêt à «remettre le pouvoir au peuple» et qu’il demandait à Abassi de se contenter des résultats du 1er tour des législatives. Mechri raconte qu’immédiatement après avoir pris congé de Hadjar, il en a informé Abassi qui avait «saisi le message et assimilé ses enjeux». «Le même jour, poursuit le général Nezzar qui reprend le récit de l’ancien avocat du FIS, Abassi a informé le chef du Bureau exécutif du parti qui a réuni le Conseil consultatif et lu le message de Abassi». «Lors de la rencontre, révèle Bachir Mecheri, le chef du bureau exécutif du FIS et son adjoint firent semblant de ne pas pouvoir terminer la réunion pour des raisons personnelles et se sont rendus à la cité des Annassers, à Alger, au domicile d’une personne qui ne faisait pas partie du FIS pour y choisir les membres du gouvernement» dont la formation allait être annoncée après le second tour des législatives. Cette révélation de taille démontre qu’Abassi Madani avait perdu le contrôle du parti et dévoile les manigances qui se tramaient à l’insu du peuple pour porter le parti extrémiste au pouvoir. Comme elle confirme la justesse de la décision de l’armée de mettre fin à un processus politique pervers qui allait conduire le pays au désastre.
Lina S.
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