Un avocat suisse accuse la justice de son pays de «néocolonialisme»
Marc Bonnant, célèbre avocat et ancien bâtonnier suisse, charge la justice de son pays qu’il accuse d’ingérence dans les affaires internes de l’Algérie. Dans une contribution parue sur les colonnes d'un journal helvétique sous le titre évocateur «Du droit d’ingérence… judiciaire», ce grand juriste qualifie de «néocolonialisme» la récente décision de la Cour pénale fédérale de refuser la reconnaissance de l’immunité dont jouit le général-major à la retraite Khaled Nezzar, suite à une plainte d’anciens militants de l’ex-FIS. «Le prononcé de notre Haute Cour retient que la Suisse est compétente pour juger des faits qui se sont produits en Algérie durant ses années de plomb de 1991 à 1993. On se souvient : le Front islamique du salut a remporté les élections législatives de juin 1990. Craignant, non sans fondement, l’avènement d’une république islamique, le gouvernement algérien annula les élections dès après le premier tour. S’ensuivit une guerre civile qui durera dix ans», rappelle l’ancien bâtonnier, dégoûté par la partialité de la justice de son pays. «Cette période se caractérisera, comme toujours – les révolutions du Printemps arabe que tant de cœurs innocents célèbrent en sont la démonstration répétée –, par des actes terroristes, exactions, tortures et assassinats, à charge des belligérants des deux camps», ajoute-t-il. S’il y a crime contre l’humanité, les militants terroristes de l’ex-FIS y étaient directement impliqués, eux qui ne cessaient de revendiquer attentat après attentat, massacre après massacre. «Les faits reprochés au général-major à la retraite Khaled Nezzar n’ont aucun rattachement, de quelque nature que ce soit, avec la Suisse, sous réserve d’un passage fugace sur notre territoire», souligne cet éminent spécialiste du droit international. «Pourquoi donc vouloir intenter un procès à un représentant du gouvernement – provisoire – de l’époque en lui déniant toute immunité ? Une époque qui a été touchée par une amnistie décidée en 2006 par le chef de l’Etat et approuvée par la majorité des Algériens». La réponse, selon cet avocat, est dans ce nouveau système d’ingérence mis en place en Occident pour continuer à dominer le reste du monde. Ce nouveau système est fondé sur l’extension des compétences de la justice de ces pays à l’international. «Les Etats exerçaient les uns sur les autres un droit de regard. De l’intransigeance du regard, ils sont passés aux actes et considèrent légitime l’ingérence. Militaire sous l’égide de l’ONU et humanitaire dans le cadre d’organisations et de conventions internationales. Désormais, le droit d’ingérence sera aussi… judiciaire», soutient-il, lui qui connaît bien les arcanes de la justice suisse et même internationale. «La Suisse a décidé de s’inscrire dans ce mouvement, précise-t-il, en modifiant sa législation en janvier 2011. Une législation qui permet, à certaines conditions, à la justice suisse de sanctionner des actes commis à l’étranger s’ils sont constitutifs de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité». Pour lui, «les juges suisses, enivrés d’être reconnus universellement compétents, se saisissent de l’histoire des autres et se proposent, par leurs arrêts, de l’infléchir. Ils se mêlent de juger du destin de peuples qui nous sont étrangers». Il regrette ainsi que les droits de l’Homme soient «l’eau bénite dont on asperge le monde. Le sabre devient glaive. Celui de la justice». Usant de formules acérées, il résume l’état d’esprit des juges suisses : «Ils cherchent la gloire là où il n’y a que décrépitude». «Les Algériens, eux, ne s’y trompent pas, qui voient dans la décision de Bellinzone(*)… une victoire de l’islamisme», écrit ce fils de diplomate qui a passé le plus clair de sa vie dans les tribunaux à défendre les causes justes.
Sonia Baker
(*) Chef-lieu du canton du Tessin.
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