Sayf Al-Yazal explique à Algeriepatriotique ce qui fait peur à Israël
Israël a, dans ce qui s’apparente à une première crise diplomatique et militaire, mis en garde l’Egypte contre les répercussions induites par le renforcement de ses troupes dans le Sinaï et exigé qu’il soit informé à chaque fois du nombre d’hommes et d’armes mobilisés. Comment percevez-vous cette nouvelle crise ?
Sayf Al-Yazal : D’abord, il faut reconnaître et souligner que l’Egypte et Israël sont liés par un accord de paix qui stipule la présence d’un certain nombre et d’une certaine catégorie d’armes dans des endroits précis du Sinaï égyptien. Cet accord est respecté par les deux parties, israélienne et égyptienne, depuis sa signature. L’Egypte a assuré, au lendemain de sa révolution, qu’elle respecterait ses engagements vis-à-vis de tous les accords et conventions internationales dont elle est signataire. Ceci est d’autant plus vrai que les nouvelles autorités du pays se sont empressées de lancer des messages dans ce sens dès après la chute de Hosni Moubarak et elles continuent dans cette voie après l’avènement de Mohamed Morsi au pouvoir. Mais nous devons comprendre que de nouveaux paramètres sont entrés en jeu depuis l’assassinat des seize soldats égyptiens à Rafah. Cette situation requiert la mobilisation d’un nombre supplémentaire d’armements et de soldats pour exécuter une opération qualitative visant à éradiquer les poches terroristes qui représentent une menace pour la paix et la sécurité dans cette région. Il y a lieu de rappeler, à ce sujet, qu’Israël lui-même n’a pas cessé de mettre en garde contre la transformation du Sinaï en une zone de violence dominée par les extrémistes religieux. Aussi, laisser faire et ne pas intervenir nuirait à la paix entre les deux pays. Outre qu’elle soit un territoire égyptien et que sa sécurité relève de l’intérêt national, cette région nécessite des moyens en adéquation avec les derniers événements.
N’empêche, Israël continue de voir dans ce renforcement des moyens humains et militaires une violation des accords de paix qui, selon lui, plafonne leur nombre. Comment les deux pays peuvent-ils dépasser ce contentieux ?
Conformément aux accords de Camp David et leur annexe relative au volet militaire, l’Egypte est en droit d’augmenter ses forces dans le Sinaï, le cas échéant. Aujourd’hui, il est évident que cette région est touchée par le terrorisme et l’armée égyptienne ne fait qu’user de ce droit dans le cadre de ces accords. Les deux parties sont, en effet, habilitées à revoir cette annexe selon la situation qui prévaut au sein d’un des deux Etats signataires, après en avoir averti l’autre partie. Le Sinaï est aujourd’hui une source de danger et cette situation appelle une opération d’éradication des organisations criminelles qui y sévissent. Dans ce cadre, l’opération Aigle a nécessité de l’armée égyptienne qu’elle mobilise de nouvelles unités pour maîtriser la situation et accélérer cette opération d’épuration en augmentant les forces dans la zone «C» et en faisant mouvement à partir de la zone «B». Je crois que la réaction négative d’Israël est injustifiée et que l’Etat hébreu veut politiser l’affaire en la sur-médiatisant pour tenter d’influer sur la position égyptienne sur les plans politique et stratégique, notamment après la victoire de la révolution du 25 janvier. Ceci, bien que les dirigeants israéliens sachent pertinemment que le mouvement des troupes égyptiennes ne vise en aucun cas Israël. Mais comme à leur habitude, ils veulent tirer profit de l’évolution de la situation pour exercer des pressions sur le gouvernement égyptien à travers ce show médiatique aussi déraisonnable que négatif.
Que vise Israël à travers cette campagne médiatique, puisque vous dites qu’il a été préalablement averti de ce renforcement de la présence militaire égyptienne à ses frontières dans le cadre des accords de Camp David ? De quoi Israël a-t-il peur ?
A mon avis, il y a des raisons politiques à cette campagne acharnée qui est passée d’une mise en garde contre la recrudescence du terrorisme dans le Sinaï en une dénonciation de l’augmentation des forces armées égyptiennes dans cette zone. Cela met à nu une contradiction flagrante dans la position israélienne. Si l’Etat hébreu nourrit effectivement des inquiétudes grandissantes sur la présence de terroristes dans le Sinaï, il va de soi que cela doit donner lieu à des opérations militaires pour débarrasser le Sinaï de ces organisations armées. Cela suppose donc que l’armée mobilise davantage d’hommes et d’armes lourdes.
Que cherche Israël exactement, alors ?
Depuis un certain temps, notamment depuis la chute de Hosni Moubarak et de son régime, Israël essaye de faire pression sur les Etats-Unis pour relancer le dialogue avec l’Egypte, parce qu’il s’inquiète des changements politiques qui surviennent en Egypte et craint un retournement de position de la part de la nouvelle équipe dirigeante, bien que l’Egypte ait assuré, comme je l’ai dit auparavant, qu’elle s’engageait à respecter les accords de Camp David au même titre que toutes les autres conventions dont elle est partie prenante. L’inquiétude d’Israël n’est pas liée aux dispositions des accords de 1978, comme il veut le faire croire, mais trouve son origine dans les changements survenus en Egypte avec l’arrivée des Frères musulmans au pouvoir. De même que cette crainte est justifiée par la position du Caire par rapport à la situation dans la bande de Ghaza, surtout après la réouverture du poste-frontière de Rafah et l’annulation du visa pour les ressortissants palestiniens, sans parler de la participation du président Mohamed Morsi au sommet des Non-alignés qui s’est tenu à Téhéran, en Iran.
Interview réalisée par notre envoyé spécial au Caire, Haytham B.
Commentaires