Sellek rassek yabba ! (*)
Ça y est, ils n’en peuvent plus. Ils sont au bout du rouleau. L’ulcère perfore l’estomac, la glycémie enregistre des pics, la tension artérielle monte. Eux, ce sont les ministres, les secrétaires généraux, les chefs de cabinet, les walis, les directeurs généraux d’institutions publiques… qui attendent depuis des mois et des mois, en se mordant les lèvres, que le Président daigne enfin changer ce satané gouvernement qui continue de vivoter bien qu’amputé de neufs membres. Il y a les ministres qui souhaitent quitter l’exécutif et se retrouver dans une capitale étrangère à la tête d’une mission diplomatique loin du tumulte d’Alger. Il y a les cadres supérieurs de l’Etat qui rêvent d’occuper le fauteuil du chef et qui savent qu'ils ne seront ni meilleurs ni pires que lui. Il y a les walis qui aspirent à prendre la place des chefs de cabinet qui seraient promus ministres. Il y a les chefs de daïra et autres secrétaires généraux de wilaya qui trépident d’impatience que le wali parte pour céder la place au suivant. Puis, il y a le citoyen qui attend que tout ce beau monde, cette «élite», s’entende sur les postes à pourvoir pour qu’un semblant de vie normale reprenne cahin-caha, en attendant d’autres remaniements, d’autres auto-élections. On est loin des premiers espoirs suscités par l’avènement de Bouteflika au pouvoir, après des années d’instabilité politique et d’insécurité. Les Algériens avaient saisi au vol le fameux slogan ressassé par le candidat providentiel durant tous ses meetings populaires : «Erfaâ rassek yabba !» (Sois digne !). Différemment interprété, le cri de l’ancien ministre des Affaires étrangères sous Boumediene résonnait presque comme le célèbre hagrouna de Ben Bella en 1963. Ils y virent un appel au soulèvement collectif, dans une sorte de communion avec le futur président, contre tous les maux hérités de près de quarante ans de dérive. Ils croyaient en un président qui allait enfin moraliser la vie politique, s’attaquer à la corruption, mettre un terme à l’injustice, rétablir l’équité entre les citoyens, corriger les erreurs du passé, abolir le régionalisme et le népotisme. Il n’en fut rien. Près de quinze ans plus tard, le pays est revenu à la case de départ, chacun, l’égoïsme aidant, voulant sauver sa peau. «Sellek rassek yabba !», semblent, aujourd’hui, rétorquer en chœur tous ces éphémères que la providence a momentanément admis au sérail.
M. Aït Amara
(*) Après moi le déluge.
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