Document exclusif : comment a été détourné l’argent du pétrole
Si le nom de Réda Hemche est sur toutes les langues, celui d’Azzedine Madi n’apparaît nulle part dans le dossier sulfureux de Sonatrach. Pourtant, cet homme, inconnu du grand public, a joué un rôle clé dans cette affaire dans laquelle sont impliqués les plus hauts responsables de la compagnie, voire du secteur de l’énergie et des mines. Le système rentier parallèle mis en place est complexe. Il implique des dirigeants de la compagnie nationale et des hommes de main qui agissaient en marge de la sphère officielle et étaient chargés des liaisons entre les différents acteurs de cette machine à dollars dont les ramifications dépassaient les frontières. Comment fonctionnait le processus ? Azzedine Madi – parfois orthographié Mady – était le représentant de la FCPL, First Calgary Petroleums Ltd, une compagnie canadienne spécialisée dans l’exploration et le développement des gisements de pétrole et de gaz en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, auprès du premier responsable du secteur en Algérie.
Il était également en contact direct avec l’ancien vice-président de l’activité amont, Belkacem Boumediene, actuellement en prison. Madi rendait compte directement au PDG de FCPL, Richard Anderson, et Shane O’leary qui avait rejoint la compagnie en 2006 et accéda au conseil d’administration en 2007, avant d’être nommé PDG l’année d’après. Parmi les contacts importants de l’intermédiaire algérien, un ressortissant russe installé à Londres et répondant au nom de Michael Kroupieev, homme de confiance de son compatriote Yuri Shafranik, ancien ministre sous Boris Eltsine et actionnaire majoritaire de FCPL. Lorsque ce dernier décida de se passer des «services» de Madi en 2008, Chakib Khelil chargea son fils de servir de relais entre lui et les responsables de FCPL. Ce qu’il fit jusqu’à ce que cette mission fût échue à un Canadien répondant au nom de Claude Courtemanche, qui occupait le poste de vice-président à la FCPL et était basé à Hassi Messaoud. Recherché par les services de sécurité, Courtemanche quittera le territoire national clandestinement. Les pièces du puzzle étant reconstituées, il reste à comprendre comment tout ce beau monde avait tissé une toile d’araignée qui aspirait une partie de l’argent du pétrole algérien par mille et un subterfuges.
Un contrat, dont Algeriepatriotique détient une copie (voir facsimilé dans Documents), stipule qu’Azzedine Madi devait percevoir 5% sur les profits nets réalisés par la société canadienne sur les blocs 405b et 406a à Hassi Berkine. Cet «avantage» accordé à Madi est une «juste récompense» qui fait suite à un premier versement de 10 millions de dollars pour avoir facilité l’accès à FCPL à ce gisement, après que la société canadienne eut reçu des garanties que ces deux blocs étaient commercialisables, donc riches en hydrocarbures. Autrement dit, FCPL n’a pas versé un centime pour la prospection et n’a donc pris aucun risque avant de se voir offrir sur un plateau d’argent ce gisement techniquement et économiquement exploitable. Il va sans dire que Madi, actuellement installé aux Emirats arabes unis et qui aurait amassé 150 millions de dollars grâce à cette opération, selon certaines indiscrétions, ne pouvait pas agir sans l’aval des hautes autorités de l’époque qui avaient substitué aux grandes firmes pétrolières étrangères intéressées par l’investissement dans l’exploration pétrolière en Algérie une multitude de petites entités, plus facilement malléables. En 2008, la FCPL, qui était financièrement incapable de développer son activité en Algérie, sera vendue à la compagnie italienne ENI, après une réunion «officieuse» qui s’est tenue à Milan et à laquelle avaient pris part l’ancien ministre de l’Energie, son fils et Azzedine Madi.
C’est à juste titre que l’ancien vice-président de Sonatrach, Hocine Malti, a rappelé, dans une interview parue dans Le Soir d’Algérie de lundi dernier, que «l’énergie pétrolière et gazière a permis aux gens du pouvoir de s’enrichir». Malti explique que la manne pétrolière, qui se chiffre en milliards de dollars, «a été exploitée à des fins personnelles par tous les régimes qui se sont succédé en Algérie, mais particulièrement par les responsables du pouvoir actuel qui l’exploitent beaucoup plus que leurs prédécesseurs». «Cet état de fait impose que l’information reste dans un cercle restreint. Pour pouvoir contrôler, dominer, il faut restreindre la diffusion de l’information», révèle l’auteur du Pétrole rouge. On comprend, dès lors, les raisons qui empêchent le comité supérieur de l’énergie, qui devait être présidé par le président de la République et dans lequel un certain nombre de ministères devaient être représentés, d’établir la politique énergétique du pays dans un cadre élargi et concerté. «Les décisions en matière de politique énergétique ont toujours été prises par le cercle de personnes initiées», a encore indiqué Hocine Malti qui résume, ainsi, tout un système mafieux érigé en doctrine.
Le traitement de l’affaire par le ministère de la Justice et l’émission d’un mandat d’arrêt international à l’encontre de Réda Hemche, en fuite en Turquie, par le nouveau ministre Mohamed Charfi, laissent présager que le procès ne s’arrêtera pas en si bon chemin. Ces quelques éléments nouveaux fournis par Algeriepatriotique pourront servir à faire avancer ce dossier dont les éléments d’information, nous apprend une source bien informée, se trouvent entre les mains de Belkacem Boumediene. Mais, se demande notre source, comment les plus hauts responsables peuvent-ils ignorer ces manigances lorsqu’un simple vice-président sait tout ?
Le secteur de l’énergie et des mines n’étant pas le seul à être gangrené par cette caste des voleurs de la République, Algeriepatriotique continuera de mettre à nu les affaires de corruption avec, à chaque fois, documents et preuves à l’appui.
M. Aït Amara
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