Ghaleb Bencheikh : «L’homme musulman est encore immature»
Comment expliquez-vous cet acharnement de certains extrémistes à blasphémer l’islam ? Dans une interview à Algeriepatriotique, Dounia Bouzar a déclaré que tout extrémisme nourrissait l’extrémisme de l’autre. Est-ce bien de cela qu’il s’agit ?
Ghaleb Bencheikh : L’acharnement, comme vous dites, de certains extrémistes à blasphémer l’islam participe de cette campagne de dénigrement et d’insulte à laquelle s’adonnent les haineux contre l’islam. Il y en a eu à travers l’histoire et il y en aura toujours, hélas ! Aux musulmans d’êtres dignes et sereins. A eux de se placer au-dessus de ces infamies méprisables. N’oublions pas que la Divine Comédie de Dante place Mohamed dans l’Inferno, huitième cercle, neuvième bolge. Et ce passage a été illustré dans les représentations artistiques, tour à tour, par Giovanni da Modena, Sandro Botticcelli, William Blake, Gustave Doré et Salvador Dali. Ces illustrations n’ont pas choqué outre-mesure les musulmans lettrés qui, plutôt, avaient mis en avant le pastiche commis par Dante de L’épître au pardon de Maârri (973-1057).
Les réactions violentes qui ont suivi la diffusion du film à travers plusieurs villes arabes et musulmanes ne sont-elles pas un signe de faiblesse des musulmans devant ce genre d’actes provocateurs ?
Ces réactions violentes constituent un désastre terrible et c’est un piège dans lequel sont tombés ces manifestants qui, dans leur hystérie, corroborent ce contre quoi ils s’insurgent. Celui qui est digne et serein et qui ne place pas le fondement de sa foi dans ces considérations injurieuses ne sera jamais atteint par les provocations. Pire encore, ceux qui ont commis des actes violents et perpétré des attentats contre les ambassades ont altéré le message du Prophète qu’ils prétendaient défendre. Savent-ils que lorsque Mohamed est allé à Taëf, il y a été battu, injurié et lapidé à coups de pierres. Et lui, avec le visage ensanglanté, la mâchoire fracassée et des éléments putrides sur la tête, ne disait rien d’autre que : «Seigneur ! Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font», reprenant ainsi les paroles amènes de Jésus connaissant la Passion. C’est cela l’enseignement prophétique mohammadien. Celui du pardon, de la miséricorde et de la magnanimité. C’est le fameux «désarmement par la douceur». Alors, comme vous dîtes, c’est plus que de la faiblesse, c’est la crétinisation des esprits. Si un film de série Z suscite un tel émoi et une telle furie, c’est que l’homme musulman est encore, malheureusement, immature.
Pourquoi Charlie Hebdo enfourche-t-il le cheval, selon vous, au moment où les responsables politiques français dénoncent un acte abject parlant aussi bien du film que des caricatures ?
Nous sommes enclins à croire que ce sont, là, des considérations mesquines purement mercantiles qui ont poussé, entre autres, Charlie Hebdo, à enfourcher le cheval. N’oublions pas qu’il a doublé son tirage… Et là aussi, que ceux qui ont été outragés ou qui s’estiment offensés réagissent d’une manière civilisée et saisissent la justice afin de traduire les auteurs de l’offense devant les tribunaux.
Pensez-vous que ces provocations récurrentes sont calculées à chaque fois de sorte à coïncider avec des agendas internationaux précis ou ne sont-ce que de simples actes isolés ?
Autant pour le film, je pourrais croire qu’il y avait une volonté délibérée de nuire et d’atteindre les musulmans à l’occasion de la date du 11 septembre pour la commémorer à leur manière, autant je pense que la rédaction de Charlie Hebdo a fait preuve de vilenie en se drapant derrière le droit à la liberté d’expression.
Comment la communauté musulmane devrait-elle agir pour défendre l’islam de ces attaques externes et de ses propres extrémistes qui en ternissent l’image ?
C’est un vaste programme qui dépasse les quelques mots d’une réponse à la dernière question d’une interview. Toutefois, les musulmans doivent se mettre dans la tête qu’ils n’ont pas à «défendre» l’islam et encore moins de la façon désastreuse que les radicaux parmi eux ont affichée. Ils n’ont qu’à s’élever aux cimes de l’intelligence et de ne pas tomber pieds joints dans les pièges tendus par les provocateurs. La communauté musulmane, pour peser et imposer, doit d’abord s’unir et plus personne n’osera l’atteindre, ni dans ses préceptes religieux ni dans ses intérêts matériels. Enfin, aux musulmans aussi de savoir réagir avec froideur d’esprit, distanciation par rapport aux événements douloureux en accusant le coup et se faire respecter en constituant une communauté unie et exemplaire. Les maîtres-mots pour y arriver sont éducation, acquisition du savoir, connaissance, science, intelligence.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
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