La bataille de l’euro
La gabegie des profits
La présente crise de l’euro et de l’Euroland résulte d’une bataille entre les ploutocrates européens et leurs alliés et concurrents étatsuniens pour le contrôle des marchés internationaux. Quelle sera la devise prochaine du commerce international, le dollar ou l’euro ?
La gabegie des profits
La présente crise de l’euro et de l’Euroland résulte d’une bataille entre les ploutocrates européens et leurs alliés et concurrents étatsuniens pour le contrôle des marchés internationaux. Quelle sera la devise prochaine du commerce international, le dollar ou l’euro ?
Il faut se rappeler que la classe capitaliste monopoliste dirige à la fois l’économie, la politique et qu’elle contrôle aussi l’idéologie, la culture et les mass médias en Europe comme dans tous les pays capitalistes. Le prolétariat n’a pas voix au chapitre dans cette guerre inter-capitaliste, alors de grâce que l’on cesse de blâmer les ouvriers pour cette gabegie des profits en chute libre!
La classe ouvrière, faute de son parti de classe sûr, expérimenté, reconnu et influent, ne contrôle rien et elle agit en observateur circonspect de ces tribulations politiques et de cette saga économique, réagissant instinctivement au gré des événements.
L’euro – la monnaie de l’Euroland – est depuis longtemps un projet financier structurant voulu et imposé par un groupe d’oligarques financiers européens afin de doter l’espace de Schengen d’un instrument économique et commercial puissant leur permettant d’affronter leurs alliés et concurrents, d’abord étatsuniens, ensuite asiatiques. Il importe peu qu’au commencement certains dirigeants américains aient hypocritement soutenu la construction de l’Euroland; le parrain n’embrasse-t-il pas le capot avant de l’assassiner ?
Dès l’origine, le plan de la caste des financiers européens était simple : forger l’unité commerciale, industrielle, financière et politique de l’Europe en créant un vaste marché unique (500 millions de citoyens-producteurs-consommateurs) et une vaste zone d’expropriation exclusive de la plus-value ouvrière, avec répartition différentiée des moyens de production et d’échanges (à l’Allemagne sont réservées les machines-outils et la chimie; à la France l’aéronautique et les produits d’opulence; à la Suède la métallurgie; à la Pologne le «cheap labour», et les plombiers, à la Grèce les grands chantiers, à l’Espagne le tourisme et l’immobilier, etc.)
La crise des «subprimes» et le risque de la dette souveraine
La soudaine crise économique et financière de 2008 – qui a fait disparaitre 2 000 milliards de dollars de capitaux spéculatifs frauduleux et détruit des millions d’emplois dans le monde – a surpris les mandarins de Bruxelles, les financiers de Paris et les politiciens de Berlin et offert aux américains l’occasion d’attaquer leur allié et concurrent monétaire européen.
La surprise fut telle que le dollar – dont la valeur reste inférieure à l’euro – est encore présenté, par les économistes patentés, comme une valeur refuge. Les Chinois eux ne s’y trompent pas, ils sont en voie de liquider leurs derniers billets verts plombés avant la grande dévaluation de ce numéraire par la FED qui imprime 40 milliards de nouveaux billets dévalués chaque mois.
Le crash boursier de 2008 a donc surpris les oligarques en plein processus de structuration, d’harmonisation, de réglementation et de gestion de l’Euroland en cours d’édification. L’ensemble des diktats politiques, des contraintes budgétaires, des garde-fous administratifs, des mécanismes de contrôle et de validation n’avaient pas eu le temps d’être consolidés en prévision de ce choc boursier.
Depuis, le système monétaire «européen» risque d’être emporté par la tempête du surnuméraire (la dette souveraine et l’argent spéculatif fictif). Nonobstant ce danger, les politiciens et les mandarins de Bruxelles, au service des capitalistes financiers européens, ont d’abord tenté de colmater la brèche athénienne, pompant les crédits par milliards dans les coffres des banques compromises par cette dette souveraine, l’objectif étant de renflouer le rafiot des armateurs et des banquiers. C’est ce que les économistes bourgeois ont appelé la «mutualisation» de la dette souveraine européenne, avec en tête le projet de créer les «eurobonds», ce qui surviendra le jour où les canards boiteux auront été chassés ou mis en coupe serrés. De ce fait même ils ont aggravé la crise de surproduction et de surnuméraire inflationniste dans ce que Richard McGuire, analyste chez Rabobank, appelle «la spirale de la mort» et que l’économiste américain Joseph Stiglitz caractérise comme «l’économie vaudoue (…) Le système fait que le gouvernement (grec, espagnol, irlandais, italien, ndlr) renfloue les banques et que les banques renflouent le gouvernement».
Sur ces entrefaites les agences de notation américaines s’invitèrent dans cette galère et envenimèrent la situation en abaissant la cote de tous les pays du vieux continent, jusqu’à et y compris l’Allemagne pourtant en excédent dans sa balance des paiements. Ce faisant, le renard américain sema la panique dans le poulailler européen. Cependant, la classe ouvrière n’a pas à prendre parti pour l’une ou l’autre des deux parties. Elle serait toutefois bien avisée de prendre acte de cette bisbille dans le camp opposé.
Chasser la Grèce de l’Euroland
La première manche de la guerre de l’euro se termina par un K-O. S’apercevant que d’autres pays faillis hantaient les corridors de la Banque centrale européenne – des pays désavantagés par la division internationale du travail au sein de l’Union – les bonzes de Bruxelles, de Paris et de Berlin décidèrent d’abandonner l’épave grecque aux flots de la mer Égée déchaînée. Ils lui posèrent de telles conditions pour demeurer au sein de l’Union qu’ils espéraient que le peuple grec allait répudier l’entente négociée avec les malandrins athéniens.
Plus malin qu’eux, le 12 juin 2012, le peuple hellénique décida de donner mandat à quelques malfrats de renégocier le contrat d’austérité préalablement signé. Le peuple grec avisé estima qu’il valait mieux mener sa guerre de classe de l’intérieur de l’Euroland plutôt qu’à l’extérieur.
Aujourd’hui, les nababs de Paris, Berlin et Bruxelles attendent patiemment que le gouvernement grec remette le rapport sur ses efforts pour briser la résistance des Partisans du Pirée contre la succession de plans d’austérité, tous rejetés par les ouvriers enragés. Alors, ils expulseront le larron grec sans pardon comme ils le feront pour toutes les nations qui refuseront les politiques d’austérité drastiques des centurions de l’Élysée. Ces manants espèrent ainsi sauver leur monnaie commune ; ce projet de marché d’expansion impérialiste commun, d’abord sur leur propre glacis de pays conquis – ces néo-colonies ex-pays de l’Est – puis d’appropriation des marchés internationaux face à leurs concurrents étatsuniens, japonais, chinois et indiens (6).
La Grèce s’enlise dans un long calvaire de cinq années de récession dont une contraction du PIB de 6,8% en 2011, et de 6,7% en 2012. Frappé par un taux de 23,1% de chômage officiel, une dette souveraine correspondant à 165,3% du PIB national pour laquelle l’exposition des banques françaises est de 66 milliards d’euros. De son côté, la dette souveraine de l’Espagne se monte à 68,5% de son PIB, dette en hausse d’environ 10% annuellement. Le chômage atteint 25% et le PIB recule de 1,5 % en glissement annuel, avec un taux d’emprunt obligataire de 7,5 %. Les banques espagnoles sont plombées par 176 milliards d’euros de mauvaises créances spéculatives. Au printemps 2012, la Bankia, 4e banque du pays, a vu sa dette «nationalisée» pour 23,5 milliards d’euros publics, empruntés par le gouvernement espagnol a un taux usuraire de 6,4%. En riposte ce dernier compte effectuer 102 milliards d’économies dans les services publics et réduire l’allocation chômage de 60 à 50% du salaire alors que la TVA sera portée de 18 à 21%. Et ce n’est pas fini, il reste plusieurs banquiers espagnols à emmitoufler et des millions d’ouvriers à surtaxer. La situation n’est pas meilleure en Italie.
Pourtant, le président chinois en visite récemment à Bruxelles, loin de calmer le jeu, a confirmé qu’il endossait et soutiendrait de ses crédits ce projet de redressement de l’euro et de l’Euroland qui contrevient directement à l’hégémonie du dollar américain en déclin.
Quelle doit être la position des ouvriers au regard de cette guerre de l’euro qui fait rage dans le camp ennemi ?
Le problème, ce n’est pas la quantité, la qualité ou le coût des services publics offerts à la population. Le problème, ce n’est pas le niveau d’impôts payés par les ouvriers ou par les privilégiés. Le problème, ce ne sont pas les travailleurs immigrés que les capitalistes ont importés des pays affamés pour accentuer la concurrence sur le «marché» du travail des esclaves salariés. Le problème, ce n’est pas la hauteur des barrières douanières et tarifaires visant à protéger les marchés d’exploitation libéralisés. Le problème, ce n’est pas de ployer sous la tyrannie de l’euro, du dollar, du franc ou de la livre sterling. Tout ceci s’avère des conséquences et non pas des motifs de la bataille de l’euro. Le problème, c’est la politique impérialiste expansionniste européenne et le système capitaliste de reproduction élargie qui ne parvient plus à livrer les fruits promis.
Le prolétariat (à travers son parti de classe s’il existe) n’a pas à quémander la tenue d’un référendum «citoyen», ni besoin d’appeler à des consultations «populaires» à propos des plans d’austérité. En quoi est-il utile que les ouvriers se brouillent et s’embrouillent sur la réponse à servir à ces projets d’austérité que la bourgeoisie présente chaque fois comme inévitables. La «solution finale» aux maux du capitalisme c’est la fin du capitalisme.
Que les capitalistes se débrouillent et se brouillent avec leur guerre monétaire contre le dollar, contre le yuan et contre le yen, et qu’ils sauvent leur peau s’ils y parviennent ! Les ouvriers s’objectent à tout programme d’austérité pour faire payer le peuple et les travailleurs pour la crise de surproduction de ce système moribond qui ne parvient plus à assurer sa reproduction, et encore moins son expansion. La bourgeoisie ne peut sauver ce système sclérosé, alors qu’ils s’écartent, ces ploutocrates, le prolétariat fera mieux que ces scélérats.
Les partisans ne doivent pas berner les ouvriers ni les employés avec cette pseudo «solution» que présentent le Front national et le Parti communiste français qui consiste à prêcher la sortie de l’Union européenne et de l’euro pour favoriser le développement d’un capitalisme vernaculaire français (bleu-blanc-rouge et coq gaulois). Le capitalisme primitif – national et concurrentiel – à évolué naturellement vers le capitalisme monopolistique, puis vers l’impérialisme triomphant, puis vers l’impérialisme décadent. Ce n’est pas la mission de la classe ouvrière d’inverser le cours de l’Histoire pour sauver le système capitaliste en perdition. La mission historique des ouvriers est plutôt de mettre fin aux souffrances de la bête en l’éradiquant.
La solution, ce n’est pas de choisir un modèle quelconque de capitalisme, la solution, c’est de renverser le capitalisme.
Robert Bibeau
Retraité de l’Education, Québec