Me Zahia Mokhtari : «Les services français ont fait disparaître un témoin-clé»
Depuis votre dernière interview à notre journal, vous n’avez fait aucune déclaration alors que l’affaire reste d’une brûlante actualité. Pourquoi ?
Me Zahia Mokhtari : C’est vrai. Juste après ma dernière déclaration à votre journal, l’affaire de Mohamed Merah a pris une autre tournure du côté français. Vous vous rappelez ce qui s’était passé quand nous avions décidé de présenter nos vidéos ; il y a eu la diffusion des vidéos par TF1 et tout le tapage médiatique qui s’en était suivi. J’ai préféré ne pas réagir et adopter un silence stratégique. Sachant que la machine allait s’emballer, j’ai voulu voir comment réagiraient la justice et les politiciens français après la diffusion des vidéos par la chaîne de télévision française. Effectivement, des histoires ont été inventées de toutes pièces et la justice s’est mise à enquêter sur des gens qui n’ont rien avoir avec l’affaire, c’est-à-dire le frère et la sœur de Mohamed Merah, Abdelkader et Souad. Ensuite, on a parlé d’un groupe d’extrémistes qui aurait été en contact avec Mohamed Merah, outre des contacts qu’il aurait eu avec plusieurs pays. Concernant ces contacts, nous avons dit, dès le début, que la DCRI contrôlait tout, d’autant que Mohamed Merah était un de ses informateurs. Ce fait a été prouvé et est consigné dans les dossiers en leur possession.
Avez-vous eu connaissance du contenu de ces dossiers ?
Oui. La défense a le droit d’avoir une copie. L’enquête, comme je l’ai dit auparavant, s’est penchée sur Abdelkader Merah, puis sur Souad dont le téléphone, selon eux, aurait été utilisé par Mohamed Merah pour communiquer avec l’un des agents des services français. Puis vient, juste après, le tour de la cellule extrémiste qu’aurait fréquentée Mohamed. Et c’est là qu’on arrive à la dernière invention, celle du «mentor» de Mohamed. Selon les informations des Français, ce «mentor», qui répondrait au nom de Guersallaoui Moez, serait de nationalité tunisienne. Il aurait été retrouvé mort. Bizarre. Quand Mohamed Merah a voulu divulguer la vérité, il a été exécuté et son «mentor» est mort aussi. Derrière chacune de ces histoires, il y a un mort. Nous nous attendions à toutes ces choses, car le jour où la DCRI a émis des doutes sur la véracité de nos vidéos, nous avions compris qu’elle voulait nous bloquer. Toutes ces histoires à forte connotation politique ne nous intéressent pas. Nous ne voulons pas enquêter ni sur Abdelkader ni sur sa sœur Souad. Le «mentor» ne nous intéresse pas non plus pas plus que les propos de l’ex-patron des renseignements intérieurs. J’ouvre une parenthèse pour dire que ce dernier a été convoqué comme témoin et non pas comme responsable dans l’affaire. Tout ceci nous écarte de l’essence de l’affaire parce que notre plainte concerne uniquement les dépassements qui ont eu pour conséquence l’exécution de Mohamed Merah. L’enquête se devait de se pencher sur cela. Autrement dit, il aurait fallu interroger les personnes qui étaient présentes lors de l’assaut et ceux qui ont ordonné l’exécution de Merah. Au lieu de cela, on veut détourner l’attention de l’opinion française et mondiale vers des faits secondaires.
Vous venez d’évoquer le frère et la sœur de Mohamed, Abdelkader et Souad. Existe-t-il des preuves qui confirmeraient leur complicité de près ou de loin avec leur frère, ou bien la police française chercherait-elle uniquement des boucs-émissaires ?
Exactement. Votre question est, en elle-même, la réponse. Où sont-elles donc ces preuves contre Abdelkader Merah ? Les déclarations de ses avocats affirment qu’il n’y a aucune trace de preuves pouvant l’inculper pour complicité de meurtre ou autre. Ils ont avancé qu’Abdelkader aurait accompagné son frère lors de l’achat d’un blouson. Qu’ils nous expliquent, alors, la relation entre l’achat de ce blouson et les tueries ! Ils disent que Souad était surveillée depuis 2009. Aurait-elle commis un délit quelconque ? Ont-ils des preuves contre elle ? Cela voudrait-il dire que chaque personne surveillée est forcément coupable ? Doit-on enquêter sur la famille et les amis de toute personne pour peu qu’elle soit accusée ou inculpée ? Malheureusement, l’enquête a pris une tournure éminemment politique si bien qu’on interroge des personnes qui n’ont rien à voir avec l’affaire. Nous attendons que les enquêtes soient orientées vers les dépassements et qu’on nous explique quelles sont les instructions exactes données aux équipes d’intervention au cours d’opérations où des suspects sont assiégés. Je parle bien de suspect, car je dis et redis que, jusqu’à maintenant, il n’y a aucune preuve inculpant Mohamed Merah. J’ai demandé qu’une enquête soit ouverte sur les éléments du Raid qui étaient en contact avec Merah avant son exécution.
Qui sont Abou Ishak et Zoheir dont la police française nie l’existence ?
Zoheir est une personne que Merah a qualifiée d’ami. Les informations dont je dispose indiquent que ce Zoheir existe réellement et que Mohamed Merah lui a rendu visite un jour, alors qu’il était hospitalisé en même temps que son père. Mais en tant qu’avocate, je ne peux pas confirmer cela sans preuves. De même qu’a été niée l’existence d’Abou Ishak, un imam, cité dans les vidéos. Mais, par contre, un acteur important dont j’avais parlé en avril déjà a été cité. Il s’agit de Hassan Ben Rahou, surnommé «Loubane». Il est d’origine maghrébine et c’est lui qui a mis Mohamed Merah en contact avec la DCRI. Cela, la DCRI et les enquêteurs n’ont pas pu le nier puisque son nom a été cité dans les vidéos diffusées par TF1. Si ces derniers ont remis en cause l’existence de Zoheir et d’Abou Ishak, ils n’ont pas pu faire de même s’agissant de Hassan Ben Rahou. La logique voudrait que l’enquête commence par cette personne qui connaissait Mohamed et qui traitait avec lui.
Pourquoi les enquêteurs ont-ils négligé cette piste ?
Ils ont délibérément négligé ce fait parce que la clé du mystère se trouve chez lui. Cet homme sait très bien quand Mohamed Merah a été engagé par la DCRI et est au courant des échanges qu’il y avait eu entre eux. Je pose la question à la Justice française et aux services secrets français : où est Ben Rahou ? Je vais vous donner une information qui va peut être surprendre les services secrets français et même les médias qui ont accusé la défense d’être restée silencieuse. La vérité est que nous n’avons pas cessé d’enquêter de notre côté et nous avons découvert que Hassan Ben Rahou a été extradé vers la Calédonie sur une décision de la préfecture. Ceci est une grave entrave à l’exercice de la justice.
Etes-vous sûre de cette information ?
Absolument. Je mets au défi les enquêteurs français de convoquer Hassan Ben Rahou comme ils l’ont fait avec Abdelkader et Souad Merah – qui n’ont rien avoir avec l’affaire – et l’ex-patron des renseignements intérieurs, alors qu’il est juge et partie en même temps.
Puisque vous en parlez, l’ex-patron des renseignements a déclaré dernièrement, lors de son audition devant le juge, que Mohamed Merah n’avait pas un profil de «djihadiste». Comment expliquez-vous ces nombreuses contradictions des officiels français ?
Comme vous l’avez constaté, le discours a changé. Parfois, Mohamed Merah est qualifié de «loup solitaire», parfois, on dit de lui qu’il appartenait à un groupe de «djihadistes». Maintenant, on dit qu’il n’en avait pas le profil. En tout cas, tout le monde est d’accord pour dire que l’affaire Merah a été montée de toutes pièces. Mis à part les preuves que nous détenons et ce que cachent les fonds de tiroirs des services secrets français, toutes ces déclarations contradictoires et ces documents distillés au compte-gouttes sont la preuve qu’il y a anguille sous roche. Je vous donne un exemple : puisque Mohamed était placé sous surveillance, pourquoi a-t-on cessé de le filer dans ce cas ?
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
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