Me Mokhtari : «Si la justice française ne joue pas le jeu, j’irai plus loin» (II)
Vous avez parlé des documents déclassifiés qui seront versés au dossier prochainement. Pourquoi les autorités françaises en charge de l’affaire emploient-elles cette procrastination dans une affaire aussi grave ?
Me Zahia Mokhtari : Effectivement, le dossier de l’affaire est distillé document par document, alors qu’il aurait dû être remis en entier à la justice. En temps normal, le dossier est remis directement au juge d’instruction. Cependant, ce que je constate par rapport à cette affaire, c’est que ce choix de remettre les dossiers de manière parcimonieuse fait suite à la diffusion des vidéos par TF1. Revenons un peu en arrière. Il faut savoir, en effet, que ces vidéos ont apparu le jour où nous avons décidé de déposer nos propres vidéos auprès du tribunal de Paris. La suite, tout le monde la connaît. Le tintamarre qui s’en est suivi avait pour seul objectif de nous empêcher d’avancer nos preuves. Le message était clair : ne comptez pas trop sur le contenu de vos vidéos pour tenter de disculper Merah ! Depuis, on n’arrête pas de nous sortir à chaque fois un nouveau document. Une fois, c’est le listing des appels téléphoniques, une autre, c’est Abdelkader, ensuite Souad, puis le «mentor». Tout ceci accentue le doute et démontre qu’il y a bien tentative de manipulation.
Dans quel but ?
Cette manipulation vise à détourner le regard de l’opinion publique qui suit l’affaire Merah de très près. Cela semble en tout cas avoir réussi, puisque les gens ont commencé à oublier l’affaire principale et se sont intéressés à des détails inutiles. Raconter la vie d’Abdelkader, de Souad et du mentor est un moyen pour reléguer au second plan la vraie problématique, laquelle a suscité la curiosité et l’intérêt du grand public qui s’est interrogé sur la manière brutale avec laquelle l’assaut avait été mené, pourquoi Merah a été exécuté alors qu’il pouvait être pris vivant, quelle était sa relation avec le Raid, etc. Pour mettre fin à toutes ces interrogations légitimes, les enquêteurs ont inventé une multitude d’histoires qui – je le dis encore une fois – n’ont aucune valeur aux yeux de la loi. D’un autre côté, cette machination vise à faire croire que Mohamed Merah était un «djihadiste», ce que je réfute catégoriquement. Ces prétendues preuves dont il est question ne valent rien, étant donné que Mohamed Merah était un de leurs informateurs et que tous les contacts qu’il aurait pu effectuer et les pays qu’il aurait visités étaient connus de leurs services qui supervisaient ces liens et ces déplacements. Je dirais même mieux : ces preuves indiquent clairement que la DCRI voulait que Mohamed s’intègre encore plus dans le milieu des djihadistes pour en faire leur espion. De plus, toutes ces informations sont révélées par le camp adverse. Or, il n’existe aucune partie neutre ou une commission impartiale chargée d’étudier ce dossier et de le suivre. Ce sont les services français qui en parlent et qui nous sortent à chaque fois une nouvelle pièce.
Vos documents sont-ils prêts ?
Nous attendons que ces histoires cessent pour que nous puissions intervenir sereinement. Notre tour viendra lorsque la justice française nous fixera une date pour les présenter au tribunal, une fois que l’enquête sera bouclée. Les preuves que nous détenons, nous ne les confierons pas à la partie adverse, mais au juge en charge du dossier. A ce moment-là, nous déballerons tous ce que nous savons dans une séance plénière. J’espère, toutefois, que nos réclamations seront prises en considération. Celles-ci tournent autour de la définition des prérogatives des agents de la DCRI, pour que tout le monde comprenne ce que nous voulons dire par «dépassements». Aussi, j’insiste pour que Hassan Ben Rahou soit convoqué. Pour moi, c’est une question primordiale. Comme on veut faire accroire que les personnes dont nous avons parlé seraient imaginaires, alors que Ben Rahou soit convoqué puisqu’il apparaît dans la vidéo diffusée par TF1, en même temps que les personnes présentes lors de l’assaut qui a causé la mort de Mohamed Merah. Nous demandons à les écouter. Le juge d’instruction est habilité à nous fournir ce que nous demandons puisque cela fait partie de ses prérogatives. Je pense que nous avons suffisamment prouvé notre foi en la justice française. Si j’ai un mot à dire au juge d’instruction en charge du dossier, c’est que la justice française, si elle veut convaincre les familles des victimes et celle de l’accusé, ainsi que l’opinion publique, devra nous fournir des réponses et convoquer toutes les personnes directement liées à l’affaire. Par ailleurs, que les services français cessent de nous sortir à chaque fois de nouvelles histoires qui ne prouvent rien, sinon leur fragilité dans cette affaire.
Croyez-vous encore en l’intégrité de la justice française après tous ces atermoiements ?
Contrairement à plusieurs affaires traitées par les tribunaux français où les justiciables algériens n’ont pas obtenu leurs droits, je pense que cette fois, il est dans l’intérêt de la justice française de prouver, au monde et aux hommes de loi, qu’elle est intègre. Mais tant qu’elle n’empêche pas et, au contraire, autorise la divulgation et la propagation de toutes ces fausses informations, cela prouvera sa partialité. Malgré cela, je ne perds pas confiance, car le dossier est toujours ouvert et la justice française pourra prendre en considération les requêtes de la défense. Mais si ces dernières n’étaient pas satisfaites, je me verrais dans l’obligation d’agir autrement. Auquel cas, je ferais appel à une commission internationale neutre pour enquêter. Si cela ne suffit pas, j’interpellerais la Cour de justice européenne.
Etes-vous repartie en France ces derniers temps ?
Oui. J’y suis allée pour rencontrer des personnes qui nous ont fourni de nouveaux éléments d’informations. Dernièrement, j’ai appris que les enquêteurs ont reçu des informations en provenance d’Afghanistan impliquant Mohamed Merah. Mais je sais qu’un agent français a été chargé de fourguer ces informations pour clore le dossier. Je suis au courant de tout ce qui se trame en France grâce à des informations qui nous parviennent de personnes honnêtes et qui s’investissent à fond dans cette affaire.
Les informations que vous-avez reçues ont-elles renforcé le dossier de la défense ?
Absolument. Beaucoup de personnes affirment que Mohamed Merah est innocent et disent qu’il n’a rien à voir avec les tueries de Toulouse. Ces personnes sont prêtes à témoigner devant le juge. Maintenant que le ministre de l’Intérieur Manuel Valls – voyant peut-être que les choses traînaient en longueur – a demandé que le dossier complet de la DCRI soit posé sur son bureau, j’ose espérer que les responsables politiques veilleront à ce que le travail de la justice ne soit pas entravé. D’ailleurs, je profite de cette occasion qui m’est offerte par votre journal pour lancer un appel au président de la République française et aux ministres de l’Intérieur et de la Justice pour faire en sorte que la loi ne soit pas bafouée, car il y va de la crédibilité de l’institution judiciaire de ce pays.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
Lire la 1ère partie de l’interview : Me Zahia Mokhtari : « Les services français ont fait disparaître un témoin-clé »
Commentaires