Réforme du secteur financier mondial : un chantier inachevé
1. Les perspectives économiques et financières mondiales
La reprise mondiale a souffert de nouveaux revers et la croissance est décevante. La production est en recul dans la zone euro et dans beaucoup d’autres pays la croissance s’essouffle. Le FMI table sur une croissance mondiale de 3,3 % en 2012 et de 3,6 % en 2013. Dans les pays avancés, la production ne devrait progresser que de 1,3 % cette année et de 1,5 % l’an prochain.
1. Les perspectives économiques et financières mondiales
La reprise mondiale a souffert de nouveaux revers et la croissance est décevante. La production est en recul dans la zone euro et dans beaucoup d’autres pays la croissance s’essouffle. Le FMI table sur une croissance mondiale de 3,3 % en 2012 et de 3,6 % en 2013. Dans les pays avancés, la production ne devrait progresser que de 1,3 % cette année et de 1,5 % l’an prochain.
La croissance s’appuie sur des politiques monétaires accommodantes, mais elle est freinée par la faiblesse des systèmes financiers, l’assainissement budgétaire, l’inversion du levier du secteur privé et l’incertitude liée à l’action des pouvoirs publics.
Une aggravation de la crise de la zone euro et la proximité du «précipice budgétaire» aux États-Unis sont les principaux risques baissiers et les sources de cette incertitude des politiques à venir.
Telle a été la toile de fond de l’Assemblée annuelle de 2012 de la Banque mondiale et du FMI, qui a rassemblé les responsables financiers de la planète il y a une quinzaine de jours à Tokyo. Les débats ont certes été complexes, mais nous en avons tiré un engagement résolu à agir dès à présent pour dissiper cette incertitude paralysante, ainsi qu’un engagement à dresser publiquement le bilan de nos résultats le printemps prochain.
Notre action dans ce sens sera déterminante, car, jusqu’à présent, les politiques mises en œuvre par les principaux pays avancés n’ont pas réussi à rétablir la confiance, et le système financier mondial ne fonctionne toujours pas correctement.
Dans beaucoup de pays les banques demeurent fragiles, et de ce fait beaucoup d’emprunteurs continuent de se heurter à des conditions de crédit extrêmement rigoureuses. C’est là la conséquence de l’interaction négative entre le durcissement du crédit et la croissance.
En Europe, le repli des flux transfrontaliers de capitaux privés a provoqué une envolée des coûts de financement à la périphérie pour tous les emprunteurs et l’effet sur la croissance se fait durement sentir dans l’ensemble du continent.
C’est pourquoi je tiens à saluer l’appel qu’ont lancé la semaine dernière les dirigeants de la zone euro en faveur de l’adoption d’un dispositif légal pour un mécanisme de supervision unique d’ici la fin 2012 et de dispositions sur les structures nationales de résolution et de garantie des dépôts. Nous attendons avec beaucoup d’intérêt les détails relatifs à la portée de cette nouvelle instance de supervision et de plus amples précisions sur les recapitalisations bancaires directes.
En tout état de cause, pour l’heure, le secteur financier ― à l’origine de cette crise ― freine la reprise dans des pans essentiels de l’économie mondiale. Compte tenu des coûts exorbitants — à la fois économiques et humains — encourus ces six dernières années, nous ne devons épargner aucun effort pour éviter que cela ne se reproduise.
2. La voie vers l’utopie du secteur financier est pavée de bonnes intentions
Passons à la réforme du secteur financier, quels objectifs nous sommes-nous fixés il y a cinq ans pour construire un système financier plus sûr?
En 2008 nous avons tous convenu de la nécessité de disposer d’un système plus sûr, d’une structure plus transparente, moins dépendante du levier financier, mieux capitalisée et plus liquide, ce qu’est d’ailleurs venu renforcer la déclaration du G-20 à Toronto, en 2010. Nous espérions mieux appréhender le secteur non bancaire et mieux saisir les modalités de résolution de ces très grands établissements dits «trop grands pour faire faillite».
Nous misions sur un système capable de réduire l’intensité des successions de cycles d’expansion et de contraction et d’atténuer les conséquences des tensions pour les contribuables. En somme, un système au service des entreprises et des ménages et non simplement de ses propres intérêts.
Où en sommes-nous cinq ans plus tard? Il y a de bonnes nouvelles : d’importants résultats ont été enregistrés sur le front de la réforme réglementaire depuis la Déclaration du G-20 de Washington, en 2008.
L’avancée la plus remarquable concerne le nouveau dispositif de fonds propres et de liquidité bancaires de Bâle III, dont les exigences sont encore plus rigoureuses pour les banques d’importance systémique. Il ressort de récents travaux du FMI que des volants plus élevés, tels que ceux préconisés par Bâle III, vont de pair avec des taux de croissance supérieurs et une moindre volatilité économique.
Des progrès notables ont aussi été enregistrés, sous la houlette du CSF, dans l’élaboration d’une nouvelle norme pour les résolutions bancaires et au regard de l’engagement à améliorer la supervision des plus gros établissements.
En outre, les pays se sont engagés à réduire les risques liés aux marchés de dérivés de gré à gré. Les instances de réglementation sont également parvenues à un consensus sur les pratiques de rémunération et une meilleure gouvernance des banques.
La collaboration entre le G-20, le CSF et le FMI a fait partie intégrante de la dynamique qui a impulsé les avancées. Nous avons préconisé les réformes avec énergie et avons participé activement aux délibérations sur leur conception, leur mise en œuvre et l’évaluation de leur impact.
Le FMI a également joué un rôle déterminant dans la mise au point de nouvelles approches pour détecter et gérer les risques «globaux», ce qu’il est désormais convenu d’appeler les risques macroprudentiels. À savoir les risques d’envergure systémique liés au cycle conjoncturel, aux structures des marchés et à chaque établissement.
Le Canada a été un chef de file en la matière; il a mis en œuvre des politiques macroprudentielles pour maîtriser l’endettement des ménages, en réduisant par exemple les ratios service de la dette/revenus et en augmentant l’apport personnel dans les nouveaux crédits hypothécaires.
Toutes ces nouvelles réformes sont les outils que nous avons élaborés jusqu’à présent pour nous aider à définir les contours du système financier de demain. Nous devons configurer le système de manière à ne pas avoir à payer de nouveau les conséquences de ses échecs. Comme le disait Marshall McLuhan, «Nous façonnons nos outils, et ensuite, ceux-ci nous façonnent».
La question est de savoir si ces nouvelles règles, ces nouveaux principes sont appliqués et s’ils fonctionnent.
Le FMI a récemment évalué les progrès des réformes. Nous avons conclu qu’elles étaient sur la bonne voie, mais qu’elles n’avaient pas encore abouti à un système financier plus sûr.
Les changements fondamentaux prennent certes un certain temps, mais les structures de base que nous jugions nuisibles avant la crise sont encore présentes. Les systèmes demeurent par trop complexes; les actifs bancaires sont encore fortement concentrés et il existe une forte interdépendance entre banques au plan intérieur; certains établissements continuent de recourir de manière excessive aux financements de gros; et beaucoup sont toujours trop importants pour faire faillite.
Qu’est-ce qui freine les progrès ?
Le changement n’est pas encore visible, en partie à cause des retards d’application, délibérés ou pas, dans certains secteurs, et à cause de la résistance à laquelle se heurtent certaines réformes.
Premièrement, certains systèmes financiers continuent d’être en difficulté et les efforts déployés pour combattre la crise font inopinément obstacle aux réformes. En outre, les réformes telles que celles liées au dispositif de Bâle III prévoient des calendriers d’application généreux, justement pour permettre à l’économie de se redresser.
Deuxièmement, il y a de nombreux intérêts particuliers qui s’opposent au changement et la résistance s’intensifie. Il est curieux d’entendre certaines banques dénoncer le caractère trop contraignant des nouvelles réglementations et de les voir dépenser des centaines de millions de dollars pour que des groupes de pression puissent y mettre fin! Je partage l’avis du Gouverneur Carney lorsqu’il dit que l’idée d’atténuer les réformes par crainte qu’elles soient coûteuses est «fantaisiste».
Les services du FMI ont récemment mené une étude sur les coûts de la réforme réglementaire et ont constaté que l’augmentation des coûts d’emprunt à long terme serait d’environ un quart de point de pourcentage aux États-Unis et plus faible ailleurs.
Nous voici donc en cette sixième année de crise, avec plus de 200 millions de chômeurs de par le monde. D’après certaines estimations, le PIB des États-Unis et de l’Europe serait inférieur d’environ 10–15 % à ce qu’il aurait pu être. Je ne sais pas ce que nous en pensez, mais j’estime quant à moi que le rendement justifie sans aucun doute l’investissement.
Si elles sont appliquées, ces réformes aboutiront à terme à un système plus stable, mais les cycles politiques et les tensions dilatoires nuisent à la dynamique de l’action.
3. Le chantier inachevé des réformes : nous ne sommes pas au bout de nos peines
Je passerai maintenant à mon troisième point, le travail de réforme inachevé. La plupart des pays se sont engagés à adopter les nouvelles réglementations, en totalité ou en partie, et certains ont progressé davantage sur leur propres politiques nationales.
Il s’agit maintenant d’aller jusqu’au bout du chemin des réformes. Le travail du CSF, du FMI et des pays membres comme le Canada consiste à imprimer l’élan qui permettra d’y parvenir de manière productive. Concrètement, que devons-nous faire?
• D’abord, nous devons avancer de manière tangible dans la résolution du casse-tête des établissements trop importants pour faire faillite. Nous devons instaurer un débat mondial sur les avantages et les inconvénients des contraintes directes aux modèles de gestion. Par exemple, la règle de Volcker aux États-Unis, les propositions de la Commission Vickers au Royaume-Uni, et le rapport Liikanen sur le système bancaire de l’UE auront d’importantes retombées dans le reste du monde. Nous avons douloureusement besoin d’une perspective mondiale.
• Nous devons aussi avancer dans la planification du redressement et de la résolution des gros établissements, notamment dans le cas des résolutions transfrontalières. De vastes travaux ont été engagés pour mettre au point les outils permettant d’intervenir dans les établissements en difficulté, mais nous devons agir sur les questions de conformité et d’évaluation à l’échelle internationale.
• Le «système bancaire parallèle» reste une préoccupation. Il s’agit des activités des institutions financières non bancaires qui échappent au périmètre réglementaire. Le CSF se penche sur cette question et nous espérons pouvoir entretenir une collaboration étroite dans la suite des travaux.
• Hormis cela, application est aujourd’hui le maître mot : l’application de la réforme des marchés de dérivés, pour qu’ils soient véritablement de «gré à gré» et sans «désagrément» (en anglais, «over the counter» et non pas «under the table»); l’application des principes du CSF relatifs aux rémunérations; et, surtout, l’application des principes du Comité de Bâle pour un contrôle bancaire efficace. Pour excellentes qu’elles soient, les règles sont futiles si elles ne sont ni appliquées ni correctement supervisées.
Un travail d’envergure mondiale qui exige une action collective et l’impulsion énergique des dirigeants
Pour être robuste et durable, la reprise devra s’appuyer sur des institutions et des marchés résilients. En effet, ne perdons pas de vue l’objectif ultime : un système financier sûr, capable d’accompagner une croissance durable. D’ailleurs, nous n’avons tout simplement pas le choix tant les coûts de la crise dépassent ceux de la construction d’un système plus stable.
Christine Lagarde
Directrice générale du FMI