Marchés informels : l’Etat est-il en train de perdre la bataille ?
Dans la longue guerre – c’est le cas de le dire – menée contre l’économie informelle, particulièrement son segment commercial tenu par les vendeurs de rues, l’Etat donne l’impression de perdre bataille après bataille. La dernière en date, annoncée au début de l’été et engagée immédiatement après Aïd El-Fitr, a pourtant bénéficié, une fois n’est pas coutume, du soutien de la population, notamment les riverains des marchés informels, dont la vie quotidienne a été empoisonnée par le climat d’anarchie et d’insécurité créé dans leur voisinage par ce commerce illégal et envahissant. L’Etat avait aussi le soutien de milliers de commerçants lourdement pénalisés par ces pratiques commerciales anarchiques qui échappent à l’impôt et à toute autre forme de contrôle. Mais dans certains quartiers d'Alger, les vendeurs illégaux sont revenus, défiant l'Etat encore une fois. Est-ce un effet de la veille électorale consistant à éviter les vagues de mécontentement pour ne pas renforcer le risque d'abstention ? D'où le laxisme qui frise la compromission observé à l'occasion de l'Aïd El-Adha avec l'arrêt durant une dizaine de jours de l'activité commerciale normale, malgré les mises en garde de l'Etat. S'agissant du commerce informel, il n’est pas seulement l’affaire de pauvres jeunes qui cherchent à se procurer des petits revenus et qui mériteraient la compassion du voisinage. Derrière cette façade socioéconomique trompeuse, il y a de vrais barons. Ils viennent de se manifester à Mostaganem après la fermeture du marché informel qui avait fini par défigurer la ville. Cette bataille avait été bien préparée aux dires des autorités concernées, avec un recensement précis des rues et des quartiers où sévit l’informel et la détermination était grande. Une opération «musclée» au besoin avec l’intervention de la force publique. En réalité, un élément déterminant dans cette opération a été complètement négligé. Il s’agit des solutions alternatives. La tâche était déjà très difficile face à l’ampleur prise par ce phénomène durant toutes ces années de laxisme. Rien que pour la capitale, 40% de l'activité commerciale serait pratiquée dans la sphère informelle, jusqu’au commerce de l'or et au change de devises qui se sont installés dans certaines rues et quartiers, au vu et au su de tous, tolérés comme s’ils étaient dans la légalité. Les pertes financières de l'Etat ont dépassé, selon certaines estimations, la barre des 10 milliards d'euros par an, ce qui donne une idée du chiffre d’affaires réalisé dans les transactions informelles. Conséquence : les commerçants préfèrent migrer de la sphère formelle à cette sphère plus «rentable». Le nombre impressionnant de dépôt de demandes d’annulation du registre de commerce et les nouvelles pertes financières qui en ont découlé pour le Trésor public seraient d’ailleurs la principale raison qui a poussé les autorités à éradiquer le commerce informel. Le correctif doit être vite apporté à la stratégie de lutte contre l’informel en procédant à l’insertion en urgence des vendeurs dans des activités légales. Sinon, le retour à la case départ est inévitable.
Cherif Brahmi