Zahir Serraï : un cadre algérien installé à Londres dénonce
Algeriepatriotique : Pourriez-vous nous décrire, d’une manière générale, la situation des Algériens qui résident en Grande-Bretagne ?
Algeriepatriotique : Pourriez-vous nous décrire, d’une manière générale, la situation des Algériens qui résident en Grande-Bretagne ?
Zahir Serraï : On compte actuellement 35 000 inscrits au niveau du consulat d’Algérie et environ 180 000 immigrés illégaux. Devant l'absence d’institutions constitutionnelles qui prennent en charge des émigrés, nous attendons depuis longtemps un changement dans les stratégies générales de l'Etat algérien, en vain. Face à la souffrance de nos compatriotes dans les pays européens, sans protection juridique et morale, les consulats, les ambassades et les parlementaires élus en 2007 ne font rien de ce qu’ils ont promis pour les membres de cette communauté marginalisée volontairement et méthodiquement. Résultat : des immolations de ressortissants algériens dans plusieurs pays d’Europe en raison de documents perdus ou non délivrés par les consulats algériens, et ce, par manque de prise de décision en temps et en lieu, vu l’insalubrité de l’administration des consulats algériens. Nous nous sommes assurés de ce que nous avons déjà publié au préalable dans différents médias, en l'absence d'un Etat digne et la mise en péril du destin d’une communauté estimée à 10% de la population algérienne. Nous croyions, comme tous les immigrés arabes, avoir droit à la dignité, malheureusement, nous avons découvert qu’il fallait prendre soin, par nos propres moyens, de nous-mêmes et de nos enfants pour nous assurer ainsi qu’aux générations nées à l'étranger une stabilité, ce qui est un modèle unique en son genre. Le pouvoir algérien ne peut intervenir auprès des pays européens où ont été incinérés plus de 154 de nos concitoyens car personne n’a pu prouver leur nationalité. Cela a commencé en Allemagne en 1993 et s’est propagé silencieusement jusqu'à 2010 en Belgique, où les autorités belges allaient incinérer le corps du défunt Djamel Maâzouzi si ce n’était notre modeste intervention visant à poursuivre ceux qui l'ont tué au poste de police à Bruxelles. La liste est longue et nous ne mentionnons que cet incident parce qu'il est encore en instruction afin de désigner les coupables. Au Royaume-Uni, la situation est tout à fait différente car l’élite nationale divisée par l’individualisme s’est fait absorber facilement par les services, tout en créant un lobby fonctionnel au-dessus du cercle diplomatique qui isole les membres actifs de cette communauté si importante. 36 millions de livres sterling pour une nouvelle ambassade d'Algérie à Londres, le saviez-vous ? Alors qu’il aurait été nécessaire d’acheter un immeuble pour le consulat où la salle d’attente ne dépasse pas les trois mètres carrés. Je vous invite à venir un samedi pour constater vous-même ce problème et le nombre de ressortissants algériens qui souffrent du froid du mois de décembre. Des femmes enceintes et des enfants viennent d’Irlande pour faire leur régularisation ou s’inscrire, après avoir parcouru des milliers de kilomètres, et prenant parfois deux vols pour arriver à Londres. Pourquoi le ministère des Affaires étrangères n’ouvre-t-il pas un consulat à Dublin où notre communauté compte plus de 5 000 ressortissants ? La communauté somalienne a, elle, trois consulats à sa disposition dans le royaume. Mourad Medelci a déçu toute la communauté nationale, notamment ici au Royaume-Uni où l’élite s’est trouvée obligée de défendre la souveraineté nationale et nous avons demandé l’expulsion immédiate de la consule, Melle Dalila Samah, de son poste.
Quels sont les problèmes récurrents que rencontre la communauté algérienne dans ce pays ?
Nous sommes marginalisés par le pouvoir exécutif d’Alger et ses représentations diplomatiques à Londres. Aucun centre culturel ou représentation du genre pour nos enfants, ni même une assistance à nos morts pour les rapatrier au pays.
Votre association intervient-elle pour aider des compatriotes en difficulté ou en quête d’orientation ?
Notre organisation est membre consultatif d’Amnesty International à Londres et membre de l’UNHCR à Genève, et cela dérange les décideurs à Alger. Notre principale mission est de défendre les valeurs et les traditions algériennes en maintenant comme objectif essentiel le soutien à tous les Algériens résidant en Europe. Notre ambition n’est pas de donner des réponses tranchées sur telle ou telle question liée à l’émigration algérienne, mais d’ouvrir des portes, de favoriser le dialogue par la connaissance. Sur un sujet fortement politique, l’immigration, nous avons pris le parti d’être indépendant et apolitique. Notre travail est de décrypter, autrement dit donner à comprendre. En Europe, le thème de l’immigration s’est présenté souvent d’une manière très schématique, avec, d’un côté, une réalité sociale de plus en plus difficile, et d’un autre, une crise économique qui terrasse les derniers espoirs. Entre les deux, c’est le néant. Or, la vérité est plus complexe. Surmonter les difficultés est possible et des solutions existent si la volonté politique des dirigeants à Alger se manifeste. Il ne doit y avoir aucun fatalisme sur cette question. Il faut connaître pour comprendre et comprendre pour agir. Notre engagement au sein du «Taraki organization» en Europe est surtout patriotique, intellectuel, culturel, mais aussi social et juridique. Concrètement, l’association que je préside depuis déjà 4 années est devenue une référence dans l’Union européenne. Les activités de Taraki, contrairement à de très nombreuses autres associations communautaires, se distinguent par des approches beaucoup plus nationalistes, où la mère patrie est au centre des initiatives. Ainsi, par exemple, l’association a lutté pour créer une école pour les enfants des immigrés algériens à Kingston Upon Thames, au Royaume-Uni. Les cours dispensés s’inspirent des programmes algériens et donnent la priorité à l’enseignement de l’arabe, de la religion musulmane, de la culture amazighe et arabo-islamique, de la culture algérienne en somme, ainsi que de l’histoire de l’Algérie. Les cours sont donnés par des enseignants formés dans les universités algériennes. Les immigrés algériens reçoivent de l’aide dans le cadre administratif et social, qu’ils soient sans papiers, harraga, prisonniers, etc., et des appuis par l’orientation, les consultations et surtout par la prise en charge des cas difficiles qui se présentent et qui sont souvent liés au décès d’Algériens dont le rapatriement du corps est très coûteux devant le manque de soutien des consulats algériens en Europe. L’organisation Taraki concentre ses activités sur un autre objectif : l’intégration. Parler à tout le monde de chacun d’entre nous : les Algériens ont autant leur place ici que les autres communautés étrangères vivant aux USA, au Canada ou dans d’autre pays. Sur le contenu lui-même, nous avons divisé notre programme en trois grandes séquences. «Analyses» explique comment les cultures s’influencent, se modifient et s’enrichissent au contact des autres. Nous préférons le «bien informé» au «vite informé». Avec «Communautés et cultures», nous mettons l’accent sur la richesse des cultures étrangères en Europe avec un agenda culturel mensuel, des lieux et des produits culturels et traditionnels algériens à découvrir. Nouvelle saison. Nouveau cycle. Nouveau programme. Et nouveau défi pour l’association Taraki. En effet, au mois de Ramadhan 2012, notre organisation a entamé une action envers les Algériens en détresse économique. Une aide, un soutien et une solidarité qui ressemblent tant à cet esprit algérien d’entraide et de compassion. Une année aux couleurs de l’Algérie, promet-elle. Des activités culturelles et artistiques, des conférences et des rencontres, ainsi qu’une journée de la femme algérienne au Royaume-Uni, pour le 8 mai 2013. Le tout accompagné, à chaque fois, d’un concours pour les étudiants algériens nés en Europe sur ce génocide commis par la France le 8 mai 1945. Nous nous félicitons des excellentes relations que l’association entretient avec quelques représentations diplomatiques algériennes en Europe, mais pas avec tous les diplomates algériens notamment les consuls, en particulier la consule à Londres qui est devenue un obstacle administratif pour toute action consulaire au profit de nos concitoyens. Nous avons trouvé aide et assistance auprès de quelques services consulaires. Tous les problèmes rencontrés par les Algériens que nous soumettons à nos représentations diplomatiques ne sont pas souvent réglés. Nous trouvons une attention particulière et une volonté claire auprès de quelques responsables, à titre personnel.
Loin de toute complaisance, nous estimons que les Algériens sont traités avec respect de la part des administrations européennes, mieux que par les consuls accrédités, payés avec nos deniers publics, qui n’ont jamais compris que leur présence est liée à la nôtre et que le temps a changé. Il faut savoir prendre ses responsabilités ou retourner au pays.
Vous dénoncez, depuis quatre ans maintenant, ce que vous qualifiez d'«irresponsabilité» et d'«indifférence» du consul algérien face aux problèmes de la communauté algérienne. Avez-vous fait part de ce problème au ministère des Affaires étrangères ?
Nous le faisons par devoir vis-à-vis de nos membres et de tous les Algériens résidant au Royaume-Uni, car cette consule est une femme irresponsable et bureaucrate qui possède la culture de l’indifférence alors qu’un diplomate doit être à la base un être de dialogue. Cette femme a détruit en deux ans ce que l’ex-consul à Londres avait construit comme confiance pendant son exercice. N’est-ce pas logique et nécessaire de mettre au courant ses chefs ?
Comment expliquez-vous les appels du pied de Londres dont les ministres ne tarissent pas d’éloge sur le rôle positif et primordial de l’Algérie en Méditerranée, dans le monde arabe et en Afrique ?
Bien que je ne sois pas un politicien ou philosophe de la dernière minute, je pense que l’Algérie joue un rôle négatif au sein du Bassin méditerranéen. Le gouvernement algérien se concentre sur les affaires de l’Etat, affairé à donner une certaine crédibilité à une couche sociale en Algérie, et ne fait rien pour promouvoir la connaissance, le savoir et le bien-être du citoyen algérien.
Ce rapprochement entre les deux pays aura-t-il des conséquences sur la communauté algérienne établie en Grande-Bretagne, selon vous ?
Bien sûr, la Grande-Bretagne est l’un des plus importants pays en matière d’investissement en Algérie, avec plus de 400 entreprises anglaises basées dans le pays dans les secteurs privé et public. C’est le pays le plus rentable pour notre économie nationale, il a investi 5 milliards de dollars en 2009, alors que la France, qui se trouve en Algérie avec des sociétés utopiques, a, en 2009, engagé 1 milliard d’euros seulement. Ce phénomène de dépendance est lié, je le précise, à des accords secrets entre Alger et Paris.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
Suivra une seconde partie de l’interview qui aborde le délicat sujet de l’affaire Sonatrach avec des révélations fracassantes.
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