Chassés ici, les revoilà là-bas
Les événements qui se déroulent en Tunisie montrent qu’une partie décisive se joue dans ce pays voisin. En annulant son appel à la grève générale, l’UGTT (Union générale des travailleurs tunisiens) a surpris les observateurs d’autant plus qu’elle a fait ce choix sur la base de promesses du gouvernement de mettre un terme à la violence islamiste… exercée par les milices d’Ennahda, le parti qui gouverne. L’évolution ultérieure de la situation donnera des indications sur le sens de ce compromis : va-t-il dans le sens de la lutte des Tunisiens attachés aux libertés et à la démocratie ou, au contraire, va-t-il permettre aux islamistes de préparer une nouvelle offensive qui renforcera leur mainmise sur la société, en utilisant encore la violence, sans laquelle ils ne peuvent rien imposer ? Jusqu’à maintenant, les islamistes ont réussi à dévoyer le soulèvement populaire qui a chassé Ben Ali et dont les revendications étaient, pour l’essentiel, sociales : l’emploi, la dignité et une répartition équitable des revenus du pays. En même temps, l’expérience l’a montré, ils évoluent plus aisément sur le terrain de la protestation sociale des secteurs les plus vulnérables de la population, alimentée par la pauvreté et l’accumulation des frustrations. Ceux que les médias appellent «salafistes», organisés dans de pseudo ligues de protection de la révolution, et qui sont tout simplement les islamistes, ont réussi à remobiliser des forces que tout le monde croyait anéanties par le pouvoir de Ben Ali. Cela leur permet de poursuivre l’objectif de l’établissement de l’Etat théocratique qu’ils n’ont, de toute évidence, jamais abandonné, même si les conditions réelles les obligent au «pragmatisme» et à la progression par étapes, comme l’a dévoilé le fameux enregistrement vidéo des propos de Ghannouchi. En face d’eux, la riposte tend à s’organiser, certes avec moins d’efficacité qu’en Egypte, mais ce n’est que le début.
Lazhar Houari