François Hollande sera accueilli à Alger avec des trompe-l’œil
Rue Larbi Ben M’hidi, ex-rue d’Isly. Les trottoirs grouillent de monde. Au milieu de la foule compacte et des bousculades des piétons, des agents d’entretien font la chasse aux détritus. Comme des fourmis, ils passent au crible les moindres recoins de cette prestigieuse rue au cœur palpitant d’Alger. Rien n’est laissé au hasard. Des ouvriers s’appliquent avec acharnement à ravaler les façades des immeubles non encore rénovés, raclette dans une main, rouleau de peinture dans l’autre. Lancée depuis plus d’une année, l’opération de réfection de ces bâtisses datant de l’époque coloniale, qui avançait en titubant, semble connaître un véritable coup d’accélérateur. A quelques jours de la visite du président français, François Hollande, des cohortes d’ouvriers investissent les rues non seulement d’Alger-Centre, mais de plusieurs sites et grands boulevards de la capitale pour leur redonner leur blancheur d’antan. La tâche est titanesque. Mais le miracle est bien algérien, dirait-on. Debout sur un échafaudage motorisé, chapeau bien vissé sur sa tête, masque protecteur sur la bouche et le nez, bidon de peinture accroché à une corde métallique, le jeune Ayman se lance un défi, celui de badigeonner en une journée la façade d’un énorme immeuble à quelques encablures de la Grande Poste. «Si je le fais dans les temps, j’aurai un bonus, une petite récompense pour service rendu», lâche-t-il, dégageant une débauche d’énergie inhabituelle. Même décor au boulevard Zighout Youcef. Des peintres s’affairent à gratouiller des murs décrépits qu’ils enduisent avec une rapidité inégalable. La mobilisation est générale pour redonner à Alger un visage accueillant. Le boulevard de l’ALN, asphyxié par la circulation automobile, connaît la même frénésie. On nettoie les trottoirs à jets d’eau, pose du gazon frais, plante des washingtoniens et fait pousser des fleurs. Le rythme des travaux est plus impressionnant. «Si on maintient cette cadence pour tous les jours, on réalisera assurément des miracles et terminera tous les projets dans les délais qui leur ont été impartis. Dommage que ce soit conjoncturel et lié juste à la visite d’un président étranger», commente un passant qui guette un taxi pour se rendre à l’est d’Alger. Sur la rocade sud, reliant l’aéroport international d’Alger au fameux club des Pins (Staouéli) et à la résidence d’Etat de Zéralda, itinéraire obligatoire des délégations officielles, une armée d’ouvriers poursuit avec de gros moyens l’opération d’embellissement avec la plantation de palmiers et le remplacement de réverbères cassés. Des équipes d’Asrout, service d’entretien dépendant de la wilaya d’Alger, chassent les mauvaises herbes pour ne laisser que ce qui pourrait égayer le regard des membres de la délégation officielle française. Cinquantenaire de l’indépendance oblige, les autorités algériennes doivent «montrer patte blanche» aux Français. Comme quoi le pays n’est pas laissé en jachère depuis que la puissance coloniale a été chassée des terres algériennes. Pour ce faire, elles se lancent dans une course contre la montre, mobilisant des centaines d’entreprises et des milliers de travailleurs. Les Algérois découvrent cet immense chantier qu’est devenue Alger du jour au lendemain. Certains avec stupéfaction, d’autres avec dépit et désolation. «Pourquoi le font-ils aujourd’hui ? Ne méritons-nous pas un coup de peinture ? Sommes-nous des visages lépreux pour vivre dans la promiscuité et la saleté ?» s’interroge, aigri, un septuagénaire, assis sur un banc pas loin du marché de Triolet, à Bab El-Oued. Cette fièvre autour des préparatifs de la visite du président Hollande lui rappelle bien l’accueil triomphal réservé en 2003 à Chirac. Pour lui, «on en fait trop». D’autres riverains rencontrés sur place estiment que «ces badigeonnages ne peuvent pas cacher la vérité et la réalité de notre pays». «Ils (les Français) le connaissent très bien. Enjoliver les principales artères ne changera rien et ne rapportera surtout rien de plus à nous autres citoyens. C’est de l’argent jeté par les fenêtres car le travail, fait à la va-vite, est forcément bâclé», dénoncent-ils. D’autres citoyens interrogés disent être habitués à ce remue-ménage artificiel à la veille de chaque «événement officiel de grande importance». Pour eux, l’état de délabrement de la ville est tel que ces colmatages de dernière minute ne servent à rien. «Cela prouve que nos dirigeants connaissent l’état chaotique de nos villes pour lesquelles ils ne font rien. Aujourd’hui, ils font tout pour cacher cette réalité qui leur fait honte devant les étrangers. Cela montre toute la considérable qu’ils ont pour le peuple», résume un syndicaliste. A côté de ces boulevards retapés, des routes fraîchement revêtues et des murs ravalés, il y a cette réalité têtue d’une ville totalement dégradée, avec ses trottoirs défoncés et ses routes cabossées, et des cités aux murs couverts de graffitis blessants et qui dégagent des effluves nauséabonds. Mais ce mauvais décor sera loin du passage du président Hollande et de ceux qui vont l’accompagner dans cette première visite d’Etat depuis son intronisation à la tête de la République française. Il sera également loin du regard du président Bouteflika, habitué à ne visiter que des endroits ayant fait l’objet d’un relooking de circonstance.
Sonia Baker
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