Israéliens et Palestiniens qui luttent contre la peur et non les uns contre les autres
Lorsque la violence régnait sur Ghaza et le sud d’Israël le mois dernier, j’ai été surprise de voir que mes amis publiaient des images soutenant la force disproportionnée avec laquelle Israël luttait contre Ghaza. Je leur ai demandé pourquoi, et ils m’ont répondu que les Palestiniens voulaient faire disparaître Israël. Ce conflit avait activé chez eux l’instinct le plus primitif : la survie. Durant les attaques israéliennes, ce même instinct a été déclenché chez les Ghazaouis. Un tel degré de peur altère notre raisonnement et nous enferme dans un schéma où se succèdent attaques et contre-attaques. Seule la preuve que «l’autre» nous ressemble est capable de mettre fin à ce cycle de violence. Or, pour trouver cette preuve, il nous faut avoir le courage de la chercher.
En 2010, une artiste palestinienne a invité un artiste juif avec lequel elle avait travaillé aux Etats-Unis, afin qu’il donne une conférence à l’université d’Al-Qods, en Cisjordanie. Mon amie israélo-palestinienne Rema et moi-même avions travaillé avec l’artiste sur les relations entre juifs et Arabes dans les années 80. Nous l’avons donc accompagné et avons assisté à sa présentation sur le fardeau du passé, qui lui a permis d’établir un lien entre son rapport à la souffrance et les Palestiniens. L’artiste palestinienne était clairement anxieuse à l’idée de l’événement qu’elle avait organisé. Elle a accepté à contrecœur de nous faire traverser le point de contrôle, étant donné qu’il est illégal pour les Israéliens de se rendre de l’autre côté de la frontière. Alors que nous approchions la Cisjordanie, elle nous a mis en garde sur les dangers de parler en hébreu. Au cours de sa conférence, l’artiste a fait part de son passé, qui comprenait un séjour d’une année dans un village arabe après avoir combattu pour l’armée israélienne. La tension dans la salle était extrême. Parmi les étudiants, certains applaudissaient nerveusement, d’autres tripotaient leurs téléphones portables. J’ai imaginé qu’ils envoyaient des messages à leurs amis pour les informer qu’il y avait des juifs et des Israéliens dans la salle, afin qu’ils viennent nous faire du mal. Ce n’était pas les étudiants en art qui se trouvaient dans la salle et avec lesquels j’avais discuté avant la conférence que je craignais, mais ceux qui se trouvaient à l’extérieur. Les messages textes, c’est-à-dire un mode secret de communication entre des personnes que je ne voyais pas, m’ont paru effrayants.
A la fin de la conférence, les étudiants se sont attroupés autour de l’artiste pour parler, non pas de son art, mais de sujets plus intimes. La première femme qui a pris la parole lui a dit : «Je ne crois pas que vous ayez tué quelqu’un.» Une autre femme s’est mise à lui parler en hébreu, car elle souhaitait s’exercer. Ces personnes n’avaient jamais eu de conversation ouverte avec un soldat israélien. Sa confiance en eux était contagieuse. Les étudiants avaient réussi l’impossible – ils s’étaient autorisés à s’intéresser à un ancien soldat israélien. Tâche facile, car il était évident que le soldat se souciait d’eux également.
La conférence n’était qu’à une heure de route de Jérusalem, mais le parcours de l’artiste avait été long avant qu’il ne parvienne à cette camaraderie. Nous avons réprimé notre peur et sommes sortis de notre zone de confort pour confirmer notre croyance : malgré toutes les mises en garde, nous pouvions faire confiance à ces gens et nous sentir en sécurité.
Grâce au mouvement révolutionnaire sur Internet appelé «Israel loves Iran», né ce printemps, les individus n’ont pas besoin de traverser clandestinement des frontières pour voir l’envie de paix reflétée sur le visage de «l’ennemi». En suivant cette même idée – des pages Facebook «Palestine loves Israel» avec plus de 9 000 membres et «Israel loves Palestine» avec environ 7 000 membres – Israéliens et Palestiniens, mais pas seulement, ont publié leurs photos avec la phrase suivante : «Cette guerre n’est pas la mienne. Je veux paix et amour entre la Palestine et Israël. Nous sommes un.»
Des générations de dirigeants politiques ont dénigré «l’autre» pour étendre leur pouvoir. Les médias sociaux peuvent servir à promouvoir leurs objectifs, à savoir la peur et la haine, mais ils peuvent aussi permettre la curiosité et l’acceptation. A nous de choisir.
Des milliers de personnes communiquent à travers les frontières par voie électronique pour affirmer que leurs politiques ne sont pas leurs porte-parole. L’internet s’est avéré un instrument clé qui permet aux individus de dépasser leur peur de «l’autre» et comprendre que Palestiniens et Israéliens, indifféremment, souhaitent simplement trouver un moyen de vivre ensemble. Un groupe sur Facebook appelé «Gaza Youth Breaks Out» a publié l’image d’un rassemblement israélien en soutien du statut accordé à la Palestine par les Nations unies en tant qu’Etat observateur. Les jeunes Ghazaouis ont remercié les Israéliens sur Facebook.
Ce n’est qu’en luttant contre la peur et non les uns contre les autres que Palestiniens et Israéliens parviendront à faire passer le pouvoir dans les mains de ceux qui rendent la paix possible.
Ariel Katz, spécialisée dans les études du Proche-Orient à la Cornell University de New York