Indonésie : l’intolérance religieuse existe mais son contraire aussi
Une nouvelle enquête menée par l'Institut Setara pour la démocratie et la paix a identifié les provinces indonésiennes où les cas d'intolérance religieuse sont les plus nombreux, prouvant ainsi que ce phénomène est malheureusement un vrai problème national. Toutefois, en tant qu'Indonésienne, j'ai des raisons de croire que le contraire est également vrai.
Une nouvelle enquête menée par l'Institut Setara pour la démocratie et la paix a identifié les provinces indonésiennes où les cas d'intolérance religieuse sont les plus nombreux, prouvant ainsi que ce phénomène est malheureusement un vrai problème national. Toutefois, en tant qu'Indonésienne, j'ai des raisons de croire que le contraire est également vrai.
Lors des voyages que j'effectue avec deux de mes amies, je rencontre souvent des touristes qui sont surpris d'apprendre que je suis à la fois catholique et indonésienne. Pour commencer, nombreux sont ceux qui ont du mal à croire qu'en Indonésie, pays qui abrite la population musulmane la plus importante au monde, il existe des personnes de différentes religions. Mes deux amies et moi-même entendons souvent les gens pousser un «ouah» de surprise lorsqu'ils découvrent que nous possédons la même nationalité.
Mes amies et moi-même formons un groupe éclectique, chacune avec des caractéristiques physiques bien différentes. Je suis sino-sundanaise avec la peau claire et les cheveux raides ; une de mes amies est ambonaise presbytérienne (un groupe ethnique des îles Moluques) avec la peau foncée et les cheveux bouclés et l'autre est javanaise et musulmane avec la peau marron claire et les cheveux raides.
«Vous êtes toutes originaires d'Indonésie ?»
Je peux alors expliquer que l'Indonésie est en réalité une nation très pluraliste.
Beaucoup se demandent si la population diversifiée de l'Indonésie cohabite en paix. La réalité est que certains parmi nous vivent en harmonie et d'autres pas – aucun des deux groupes ne représentant pleinement l'ensemble du pays. Certes, beaucoup ont des préjugés contre d'autres groupes ethniques et religieux qui peuvent parfois mener au conflit. Toutefois, je pense que tant que l'harmonie existe dans les familles et les communautés, ce pays a des chances de connaître une coexistence pacifique.
C'est au sein de ma propre famille que je trouve le plus bel exemple de vie en harmonie, à l'instar de notre devise nationale, Bhinneka Tunggal Ika (l'unité dans la diversité). J'ai grandi dans une grande famille multiconfessionnelle et multiculturelle. Tout a commencé lorsque ma grand-mère maternelle, une Sundanaise, a rencontré mon grand-père, un Sino-Javanais confucianiste. Ils sont tombés amoureux l'un de l'autre et se sont mariés. A cette époque, dans les années 40, les mariages interreligieux étaient relativement courants. Aujourd'hui, ce type d'union est possible mais peu facile compte tenu du système juridique qui ne reconnaît que le mariage religieux. Ayant connu d'autres mariages interethniques et interreligieux, ma famille élargie compte au moins trois différents groupes ethniques : javanais, chinois et sundanais. Pour ce qui est de la religion, c'est encore plus compliqué. Cinq sont pratiquées au sein de ma famille : l'islam, le catholicisme, le presbytérianisme, le bouddhisme et le confucianisme.
Comment vit une famille aussi panachée ?
Exactement comme les autres. Nous sommes proches les uns des autres et nous nous parlons régulièrement.
Un des avantages d'avoir une famille aussi diversifiée que la mienne est que je peux entretenir des conversations sur différentes croyances religieuses. Enfant, je suis allée à la mosquée, à l'église et au temple avec mes proches pour voir comment ils priaient. Mes parents m'ont enseigné les principes fondamentaux de leur religion respective et m'ont laissé choisir la mienne. Les rassemblements pendant les vacances et les fêtes religieuses constituent la partie la plus intéressante. A chaque Noël, Aïd al-Fitr et Nouvel an chinois, nous nous réunissons tous chez ma grand-mère pour un grand repas halal que tout le monde peut apprécier. Même si les voisins peuvent trouver insolite de voir mes tantes et cousines qui portent le hidjab se rendre au dîner de Noël, leur démarche n'a jamais créé de problème. Néanmoins, nous avons aussi nos problèmes, comme dans n'importe quelle autre famille, plus à cause de malentendus personnels que de différences ethniques ou religieuses. Et, compte tenu de cette diversité au sein de la famille, il nous arrive parfois d'avoir des préjugés les uns envers les autres. Nous pouvons reproduire les stéréotypes habituels, en déclarant, par exemple, que les Minangkabau sont pingres, les Javanais toujours en retard et les Chinois tournés vers les affaires. Toutefois, nous avons fini par comprendre que ces préjugés n'étaient pas tous valables. Nos parents minangkabau, par exemple, sont en réalité très généreux. Plus nous apprenons à mieux nous connaître, plus nous nous apercevons que chaque personne est différente et qu'il y a plus d'une dimension en chacun d'entre nous. Je sais que ma famille n'est pas unique en son genre. Il y a bien d'autres communautés en Indonésie et dans le reste du monde, des quartiers, des écoles, des bureaux et des organisations – comme le réseau de la diaspora indonésienne (un réseau d'Indonésiens vivant à l'étranger) et la Conférence indonésienne sur la religion et la paix (une organisation fondée par des dirigeants indonésiens interreligieux) – qui embrassent les peuples d'origines ethniques et religieuses diverses et qui encouragent la compréhension à travers les relations sociales, le dialogue et les activités collectives.
En observant ces groupes et ma propre famille et la facilité avec laquelle ils interagissent, je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas tous connaître la même chose à l'échelle nationale.
Juliana Harsianti, journaliste indépendante qui collabore à plusieurs publications