Que cache la campagne médiatique sur la mort supposée des deux chefs algériens d’Al-Qaïda ?
Toute la presse internationale, algérienne comprise, s’est hâtée à annoncer en Une : «Aqmi décapitée !», dès l’annonce de la mort d’Abou Zeid et de Mokhtar Belmokhtar par l’armée tchadienne, sans même attendre une authentification de la mort de ses deux chefs terroristes. A ce jour, personne, même pas le ministre français de la Défense, ne semble en mesure de confirmer ou d’infirmer définitivement une chose qui était pourtant à la portée d’une armée auxiliaire, comme l’armée tchadienne. A se demander si ces annonces ne participaient pas d’une guerre psychologique, dans laquelle les rôles étaient partagés, où l’armée «conquérante» ne peut se targuer que des vraies victoires. Un mois après le déclenchement de l’opération militaire au nord du Mali, les soldats français, dont on nous dit qu’ils étaient partout reçus en libérateurs, auraient-ils besoin de quelques coups d’éclat pour sentir cette avancée ? Veut-on expliquer à l'opinion publique internationale qu'en abattant ces deux chefs terroristes – à supposer que cela soit vrai –, la crise au Sahel est définitivement réglée et que la France et l'armée tchadienne (son alliée) ont remporté la victoire ? Cela peut tromper l’opinion, un moment, mais l’expérience récente nous renseigne que la disparition d’un chef terroriste ne mène pas fatalement à la dislocation de son groupe ; très vite, un autre viendra lui succéder. L'expérience la plus édifiante en la matière est celle des services de sécurité algériens qui ont compris que chaque fois qu'une tête importante tombait, une autre était déjà désignée à sa place, plus sanguinaire et plus suicidaire. Exemples des chefs du GIA, de Moh Léveilly, abattu en août 1992, vite remplacé par Mansouri Meliani, qui sera arrêté, mais aussitôt remplacé par Abdelhak Layada qui sera arrêté au Maroc en 1993. Après lui, viendra Aïssa Ben Amar, puis Djaâfar El-Afghani (abattu en février 94), puis Chérif Gousmi (septembre 1994), suivi de Djamel Zitouni (juillet 1996) et Antar Zouabri (février 2002). Le dernier chef du GIA ne sera liquidé qu’en 2004. Donc, dix ans de lutte implacable et de sacrifices incommensurables pour venir à bout de cette pieuvre à mille têtes. Même cas pour Al-Qaïda, où la neutralisation de Ben Laden, et avant lui, des chefs locaux comme Mossaab Al-Zarqaoui en Irak, n’a pas mis fin à l’action nihiliste de ce réseau, bien au contraire, chaque groupe se revendiquant de ce label se sentirait désormais plus libre de mener son action. Les Français sont-ils conscients de tous les enjeux de cette guerre asymétrique qu’ils sont en train de mener au Mali, contre des groupes qui ont l’habitude de se mouvoir sur un aussi grand territoire ? Encore, il faut souligner que les groupes armés auxquels les armées française et malienne sont confrontées n’obéissent pas aux ordres de Mokhtar Belmokhar ou de Abdelhamid Abou Zeid, mais sont essentiellement ceux du Mujao et d’Ansar Dine qui occupaient le nord du Mali, et dont les têtes sont jusqu’ici à l’abri.
R. Mahmoudi
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