Le professeur Antal Fekete à Algeriepatriotique : «Les réserves d’or et d’argent de l’Algérie sont en danger»
Algeriepatriotique : Avec des réserves de change avoisinant les 200 milliards de dollars, l’Algérie est-elle à l’abri de la crise ou, au contraire, risque-t-elle de faire les frais du dépôt de ses avoirs dans les banques étrangères ?
Pr Antal Fekete : Très vulnérable, en effet, et à plusieurs égards. En plus du risque qui pèse sur ses réserves de change, au regard notamment de la politique déclarée des Etats-Unis visant à abaisser la valeur internationale du dollar, il y aussi le risque lié au taux d’intérêt dans la mesure où les réserves algériennes sont investies dans le papier (fiduciaire) du Trésor américain. Quand les taux d’intérêt augmentent, la valeur des bons du Trésor américain s’effondreront. Ces pertes s’ajoutent à celles déjà liées à la valeur du dollar elle-même. L’Algérie, comme tout autre pays, assumera les conséquences de la folie qui consiste à déposer son argent dans des comptes en dollar dans des banques relevant de la juridiction de gouvernements étrangers.
L’Algérie court-elle plus de risques à garder ses réserves en or à l’étranger ou à les rapatrier ?
Il y a toujours un risque à garder les réserves en or d’un pays à l’étranger. Les gouvernements étrangers pourraient faire prévaloir un cas de force majeure et refuser de restituer l’or, comme cela s’est passé pour l’or que la République d’Espagne avait déposé en Union soviétique dans les années 1930. Les Etats-Unis ont eux aussi refusé à plusieurs occasions de restituer l’or appartenant à des gouvernements étrangers. Les vols étaient justifiés en invoquant la loi sur le commerce avec l’ennemi. Le rapatriement (de l’or) est la meilleure décision à prendre.
Comment les Etats – dont l’Algérie – pourraient-ils revenir au standard-or, sachant que ce sont les Américains qui détiennent la «clé» de la finance mondiale à travers ce que vous avez appelé «l’impérialisme du dollar» ?
Le mécanisme d’institution du standard-or est assez simple. L’Algérie devra déclarer une pièce d’or (disons la pièce d’or de 20 francs de la défunte Union monétaire latine) comme monnaie du pays. Elle devra commencer à frapper et estampiller cette pièce avec son propre blason et à la date courante. Enfin, et cela est encore plus important, l’Algérie devra prendre un engagement international solennel de convertir tous les lingots d’or de poids et de finesse appropriés utilisés pour frapper la monnaie du pays, libre de toute taxe de seigneuriage, à des quantités illimitées. Dans les annales de l’histoire monétaire, cet engagement est connu sous l’appellation suivante : ouverture de l’or à la libre frappe de la monnaie. Il serait sage de rapatrier les réserves d’or algériennes d’abord. De même qu’il serait sage de convertir les 200 milliards de dollars de réserves de change du pays en lingots d’or avant d’ouvrir l’or à la frappe libre de la monnaie. Si l’or n’est pas disponible en quantité suffisante, les réserves minières d’or et d’argent peuvent servir comme proxy (intermédiaire).
Qu’adviendrait-il si les Américains, en guise de représailles, expulsaient l’Algérie du système de compensation du dollar ?
L’Algérie, en tant que pays important en matière d’échanges commerciaux, ne devrait pas trop se soucier de cela. Mieux encore, l’Algérie peut tirer un profit supplémentaire de telles représailles si elles venaient à exister. Elle pourrait mettre en place le premier système de compensation des dispositifs d’or du XXIe siècle (c’est-à-dire de vrais billets venant à échéance en monnaie d’or en 91 jours ou moins). Les dispositifs d’or sont de loin supérieurs aux crédits en dollars et le monde les traitera en tant que tels. D’autres pays commerçants commenceront à payer leurs importations en établissant des factures en monnaie algérienne comme cela se faisait au XIXe siècle lorsque les fractures étaient établies en monnaie londonienne.
Pourquoi les puissances financières mondiales, qui imposent à l’humanité le dollar et l’euro comme monnaies principales dans les échanges commerciaux, s’échinent-elles sinon à interdire du moins à empêcher tout retour au standard-or ?
Le vieil adage dit : «Celui qui détient l’or mène la barque.» Les puissances financières mondiales veulent mener la barque elles-mêmes tout en épargnant leur propre or. Ouvrir l’or algérien à la libre frappe de la monnaie éloignera les prédateurs. Le seul moyen pour ceux qui gèrent le dollar de faire échouer cette démarche serait d’ouvrir l’or américain à la frappe libre de la monnaie également. En d’autres termes, le dollar devra être ramené au standard-or aussi. Les «impérialistes du dollar» seraient impuissants face à une telle démarche de la part de l’Algérie. Ouvrir l’or à la libre frappe de la monnaie serait «une heure de gloire pour l’Algérie».
Qui pourrait tenir tête à ceux que vous qualifiez de «chrysophobes», sachant que, comme vous le dites, l’étalon-or pourrait démasquer les «mauvaises banques» et mettre en péril les gros intérêts mercantiles de ceux qui profitent du système financier actuel ?
L’Algérie peut le faire. Elle peut adopter une législation qui exige des banques de tenir leurs comptes sur la base de la monnaie en or en vigueur dans le pays, faute de quoi elles (les banques) perdraient leur agrément et ne seraient plus autorisées à activer en Algérie. Les banques algériennes seraient pratiquement les seules banques solvables dans le monde. Les banques, ailleurs, avec l’autorisation du gouvernement, ont permis que des crédits bancaires sans limite soient bâtis sur une dette publique illiquide. Le système bancaire mondial est un château de cartes et la tempête guette. Les commissaires aux comptes et les experts comptables ont trahi la confiance en établissant à des banques malades des certificats attestant de leur bonne santé sous la pression du gouvernement. L’Algérie devrait aussi mettre un terme à la protection légale des billets de banque émis par la Banque (centrale) d’Algérie. Cela aussi serait une première au XXIe siècle. Il faut laisser les billets de banque émis par les banques centrales être en compétition sur le marché avec les pièces d’or. C’est une question de «survie du plus fort», comme cela devrait se dérouler. Il faut laisser les gens qui travaillent décider s’ils veulent que leurs salaires leur soient versés en monnaie fiduciaire qui, historiquement, est toujours retournée à sa valeur intrinsèque, c’est-à-dire zéro, selon Voltaire, ou en pièces d’or ou d’argent qui ont résisté à l’épreuve du temps depuis des millénaires.
Vous dites qu’en déclarant la guerre à l’Irak, les Etats-Unis ont voulu amener ce pays à refuser les paiements en or. Votre approche est inédite car on a tendance à croire que la raison essentielle de cette invasion est le pétrole…
Dire que «l’action policière» des Etats-Unis pour punir l’Irak est due au fait que ce pays soit sorti des rangs est, bien entendu, une hypothèse. Mais une hypothèse plausible. L’idée que les pays soient libres de choisir quelle monnaie ils doivent accepter ou refuser en échange de biens ou de services réels est trop dangereuse et trop contagieuse, et représente donc une menace pour le confort des Américains. Ces derniers ont beaucoup à perdre si la communauté mondiale se passait du dollar. Cependant, «l’action policière» contre l’Irak a été un échec lamentable. Même si l’Amérique est autosuffisante en pétrole, l’idée d’une action punitive contre ces pays qui abandonnent le «navire dollar» serait de plus en plus effective. Le financement du commerce mondial par l’établissement des factures à échéance en or au lieu et place du dollar avec la mention «je ne vous dois rien» est une idée qu’il est temps de mettre en pratique. Victor Hugo dit : «Rien n’est plus fort qu’une idée dont l’heure est venue.»
Le dollar est une monnaie contrefaite qui a conféré un pouvoir réel au contrefacteur. La Réserve fédérale a été autorisée à fouler aux pieds la Constitution américaine depuis près d’un siècle, tout en laminant à 99% le pouvoir d’achat du dollar. Pourquoi le monde accepte-t-il ce système fraudeur sans hésitation ?
C’est en partie dû à l’inertie. On préfère le diable qu’on connaît à l’ange qu’on ne connaît pas. L’autre raison est la crainte de représailles comme cela a été démontré avec la destruction de l’Irak. Cependant, l’Amérique est en train de se transformer en un colosse aux pieds d’argile ou, si vous préférez, en un tigre en papier. Quoi qu’elle fasse, elle en train de creuser la tombe du tout-puissant dollar. Mais il y a une troisième réponse, également, et qui est quelque peu technique : tant que les marchés futurs de l’or existent, les bons du Trésor américain peuvent être convertis en or physique. Mais comme le montre la tendance à la disparition de la base d’or (définie comme la différence entre le prix approximatif à terme et le prix au comptant de l’or), le marché de l’or à terme est moribond. Il partira dans un nuage de fumée quand le déport de l’or sera permanent. Il s’en suivra un défaut de paiement à terme en or et par contrat d’option. Beaucoup de gens sont conscients de cela. Mais ce que personne – pratiquement – ne réalise, c’est qu’au même moment, la demande des bons du Trésor américain s’évaporeront. Le dollar, même aujourd’hui, ne sert que comme un proxy (intermédiaire) de l’or. Certes, il est plus pratique de payer à travers des virements en dollars que par l’expédition d’or. Mais lorsque le marché à terme de l’or succombera aux inexorables forces de la loi économique et qu’il ne sera plus possible d’obtenir de l’or physique en échange d’un dollar déshonoré, alors, le commerce mondial sera réduit au troc. Les sociétés mettront la clé sous le paillasson et les travailleurs seront licenciés. Aucune université et aucun think tank au monde ne sont en train d’étudier les retombées de la disparition de la base d’or, ni les problèmes liés au fait qu’elle devient négative. La menace d’un déport permanent de l’or est ignorée. Cependant, cette politique de l’autruche ne changera rien au fait que la base d’or est réelle et que l’heure d’un déport permanent de l’or est proche. Une des raisons qui m’ont poussé à intégrer la New Australian School of Economics (NASOE), c’est la légitimation de l’étude de la base or et argent et la circulation de billets réels dont la valeur est basée sur l’or en tant qu’effort académique. Le prochain séminaire de la NASOE se tiendra à Madrid fin mars courant. Il est destiné aux débutants qui pourront en savoir plus sur ces questions.
L’Allemagne a demandé à connaître l’état de ses réserves d’or au FMI et elle a reçu un refus catégorique. Le FMI serait-il plus puissant qu’un Etat de l’envergure de l’Allemagne ?
De mon point de vue, l’Allemagne n’est pas un pays occidental puissant. Comme le Japon, c’est un territoire occupé grêlé par les bases militaires américaines qui ont perdu leur raison d’être après l’effondrement de l’Union soviétique en 1991. Toutes les décisions du gouvernement allemand peuvent être considérées comme étant tributaires du veto américain, tant que les troupes américaines seront stationnées dans ce pays. Même la puissance économique de l’Allemagne est subordonnée à des facteurs externes. Par exemple, les réserves d’or allemandes sont entre les mains des Américains et leur restitution peut être refusée sous n’importe quel prétexte. Le FMI est une marionnette américaine et aurait dû être dissous en 1973, quand le système de taux de change fixe – que le FMI était censé sauvegarder – a été abandonné. Il est ridicule de garder la fonction de bourreau alors que la peine capitale a été abolie.
Vous affirmez que le fait de ne pas retourner au standard-or «peut signifier le commencement d’un nouveau Moyen-Âge». Est-ce à dire que nous vivons au Moyen-Âge depuis 1971, année de ce que vous appelez la «conspiration de Nixon et Friedman» ?
1971 fut l’année durant laquelle le génie de la dette a été libéré de son flacon doré. Depuis cette date, il est libre d’errer à travers le monde, donnant frisson et fièvre et causant des dommages irréparables là où il passe, quadruplant les prix du pétrole et explosant la structure des taux d’intérêt, par-ci, et faisant de même avec la bulle immobilière jusqu’à l’effondrement de la structure des taux d’intérêt, par-là. Mais le nouvel âge sombre du monde commencera sérieusement lorsque l’or passera au déport (*) permanent. Ce sera un âge marqué par les dépressions, les fermetures d’entreprises et les pertes d’emplois, ainsi que par l’effondrement du marché mondial, le remplacement du commerce multilatéral par le troc, la disparition de la loi de l’ordre, la propagation de la famine et de la peste, et j’en passe. La seule manière de prévenir cet âge sombre, c’est de retourner immédiatement au standard-or et au financement du commerce mondial sur la base de la valeur de l’or. Tout ce dont le monde a besoin pour ce faire, c’est qu’un pays – ou un ensemble de pays – ouvre l’or à la libre frappe de la monnaie et autorise la circulation de billets réels payables en pièces d’or. L’Algérie se trouve dans une position idéale pour faire un pas dans cette direction, ce qui lui permettrait d’éviter au peuple une souffrance économique atroce. Il faut garder en tête l’exemple de Byzance qui a réussi à épargner à son peuple, qui vivait dans la moitié est de l’empire romain, le sort de ceux qui étaient établis dans sa moitié ouest, en continuant à frapper sa monnaie d’or, le besant.
L’effondrement économique que vous avez prédit a-t-il eu lieu ou n’en est-il qu’à ces premiers balbutiements ?
La réponse à votre question est la suivante : vous n’avez encore rien vu !
Interview réalisée par Hounaïda Acil et M. Aït Amara
(*) On parle de déport lorsque le change à terme est inférieur au change comptant. Le déport provient d’un différentiel négatif de taux entre la monnaie de référence et la monnaie étrangère.
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