Abdelmoumène Khalifa : les dessous d’une fortune (IV)
«Je ne dois ma fortune qu'à la brutale ouverture d'une économie jusqu'alors centralisée. Comme dans le Sud-Est asiatique à la fin des années 1970, je la dois à la fabrication d'une quinzaine de médicaments génériques dans l'officine de mon père. A l'époque, on arrivait même à manquer d'aspirine ! En 1991, lorsque le monopole de l'Etat dans le secteur pharmaceutique est tombé, mes produits ont connu un succès foudroyant. Ils étaient moins chers que leurs équivalents français. En plus, nous avons été les seuls sur le marché pendant près de cinq ans.» (1)
Khalifa a du mal à convaincre sur l’origine de sa fortune : «Si vous insinuez que j'aurais pu hériter d'une façon ou d'une autre du trésor caché du FLN ou de sommes que mon père aurait détournées, vous faites fausse route. Jamais ma famille n'a bénéficié de passe-droit. Lorsque j'ai commencé à faire mes premières affaires, mon père les regardait d'un mauvais œil. Le libéralisme économique n'était pas son truc. A ses yeux, le système centralisé devait répondre à tous les besoins de la population.» (2)
La simplicité du propos accentue le doute.
Problème très compliqué dont la résolution exige que soient réunis de nombreux éléments épars : «A» hérite d’une officine pharmaceutique de «B», l’exercice consistant à démontrer par «A» + «B» comment il est possible de bâtir un empire économique à partir d’une pharmacopée !
En 1990, Rafik Khalifa hérite, à la mort de son père, de l’entreprise familiale de fabrication et d’importation de produits pharmaceutiques. A cette époque, l’Algérie importe 500 millions de dollars par an de médicaments. La mort de Khalifa Laroussi intervient à un moment où l’Etat décide de se désengager peu à peu de l’activité économique. Le gouvernement, sous la conduite du «réformateur» Mouloud Hamrouche, privatise à tous crins. Une aubaine pour le jeune héritier dont le début de la fortune trouverait là une première explication. Son entreprise, KRG Pharma, produit des médicaments génériques à Alger et à Vitrolles, dans le sud de la France.
Jacques Follorou met en avant, dans une enquête parue dans Le Monde (1), des facilitations complaisantes dont il aurait bénéficié auprès de hauts fonctionnaires du ministère de la Santé : «Le groupe Khalifa, grâce au soutien de hauts fonctionnaires du ministère de la Santé algérien, dont l'un sera intégré à la tête de la banque Khalifa, obtient, lui, le droit de distribuer quinze médicaments. Disposant d'une filiale à Vitrolles, près de Marseille, il joue sur les deux tableaux et en tire profit pour s'arroger un quasi-monopole. Selon un ancien cadre du groupe, l'unité de Vitrolles, qui affichait en 1998-1999 un chiffre d'affaires de 275 000 euros et 45 700 euros de pertes, permettait à l'ensemble du système de gonfler ses profits en jouant sur les taux de change entre la France et l'Algérie.»
Et la France non plus ne laisse pas Khalifa en rade. Ce dernier y dispose «des bases pour mener une stratégie clientéliste en s'attachant des soutiens dans des milieux très divers», lesquels «vont lui servir pour se lancer, en 1998-1999, dans les secteurs bancaire et aérien. Sollicitant des lignes d'exploitation, les représentants du groupe se présentent face aux autorités françaises en compagnie d'un député (UMP) français qui vante les mérites de cette jeune entreprise. Les collaborateurs du ministre des Transports, agacés, apprendront plus tard que l'élu a été rémunéré pour cette intervention jugée inutile puisque le ministère a pour règle de recevoir toutes les compagnies aériennes.» (2)
Le Canard enchaîné publie, le 23 octobre 2002, un rapport de la DGSE selon lequel Khalifa servirait d'homme de paille aux décideurs algériens. Deux personnalités sont particulièrement visées : Larbi Belkheir, directeur de cabinet du président Bouteflika, et Abdelkader Koudjeti. Larbi Belkheir, d’habitude peu prolixe, ne peut s’empêcher de répliquer à l’accusation dans les colonnes du journal Le Monde : «Je n'ai rien à voir avec lui. Je n'ai pas investi un centime dans ses affaires et aucun de mes enfants ne travaille dans l'une de ses sociétés.» De son côté, Abdelkader Koudjeti s’interroge, suffisant : «Je ne connais pratiquement pas Khalifa que je n'ai rencontré qu'une seule fois. Pourquoi irais-je confier de l'argent à quelqu'un qui est plus jeune que mon fils et que je ne connais pratiquement pas ?»
M. Aït Amara
Demain : Ni bon Samaritain, ni médicastre
(1) Le Monde du 31 décembre 2002.
(2) Idem.
Comment (10)