La violence dans l’éducation, un phénomène qui ne cesse de menacer la vie des enseignants et des élèves

Plus de 3 000 cas de violence scolaire enregistrés entre le 15 septembre 2012 et le 20 mars 2013

Plus de 3 000 cas de violence scolaire enregistrés entre le 15 septembre 2012 et le 20 mars 2013
Ces données rapportent que malgré le manque de statistiques exhaustives et générales découlant d’une constatation factuelle des cas enregistrés et couvrant la totalité du pays, deux déductions peuvent toutefois être faites : d’une part, la violence constitue désormais une véritable problématique dont l’éradication nécessite la mobilisation de tous les moyens, d’autre part, la détermination avérée et inédite de toutes les composantes de la société algérienne pour combattre les phénomènes nuisibles à la société. Cette violence est aussi due à l’interférence des effets socioculturels et des activités pédagogiques, étant donné le lien étroit existant entre l’établissement scolaire et les autres institutions sociales, la famille en particulier. S’y ajoutent la nature de l’éducation, l’influence des films d’action, l’absence de communication et de coopération entre les institutions sociales et les staffs administratifs, et ce, malgré l’existence de normes pédagogiques claires devant, en principe, constituer un cadre d’engagement entre les composantes de tout établissement scolaire.
La violence à l'école est la conséquence d'un processus, d'une politique, d'un système dont les acteurs assument tous une part de responsabilité. Si aujourd'hui l'école publique véhicule une image plutôt négative, c'est que cela, peut-être, a été voulu. Nous sommes face à un système absurde qui tourne dans le vide, une politique d'enseignement marquée par un cynisme tout aussi politique. L'école publique est donc dépréciée par les parents, contestée par les élèves, critiquée même par les enseignants, dénigrée par la société, mise sur la sellette par les médias… Même le statut de l'enseignant, jadis un personnage respecté pour son savoir et sa «sacralité», est attaqué. On a tendance à donner une image monstrueuse des enseignants. A chaque fois qu'un élève est frappé par un enseignant, on remue ciel et terre, mais lorsqu'un enseignant est tabassé, voire assassiné par un élève, on n'en parle pas. La manière avec laquelle les médias traitent le sujet de la violence à l'école participe à créer un climat de tension entre les parents et le corps éducatif : il y a des parents qui nous menacent bizarrement aujourd'hui d'en parler. Les classes sont pires que des écuries, l'environnement immédiat du lycée est investi par les dealers et les clochards, les familles des élèves viennent nous voir rien que pour nous insulter, la direction est quasi absente.
La violence bat son plein en période des examens. Pour une bonne partie des élèves, la fraude est devenue le chemin le plus court vers la réussite. Avec un programme chargé et face à des modes d'examen qui favorisent plutôt la mémorisation et le «parcœurisme», et surtout dans une société qui ne récompense pas le mérite et les méritants, les élèves recourent à la triche. Les enseignants et les surveillants sont souvent victimes de leurs «prises». A la fin des épreuves, ils se font agresser à la sortie des établissements par les élèves qu'ils ont dénoncés.
L'école publique cesse alors non seulement d'exercer ses effets éducatifs, cognitifs, psychopédagogiques et civiques mais elle renonce aussi à son rôle redistributif, socialement primordial. Adieu l'égalité des chances : la production, ou plutôt la reproduction, de l'élite se fait, en tout cas, ailleurs. Bien que n’étant pas un fait nouveau, le phénomène de la violence en milieu scolaire souligne un problème social d’une importance croissante. Violences entre élèves, agressions contre les professeurs, saccages ou dégradations des locaux scolaires… Le phénomène se généralise. En Algérie, que connaissons-nous des formes et de la mesure de cette violence ? La dernière enquête menée en Algérie par le CLA fait apparaître une situation sérieuse auquel aucun établissement n’échappe.
Quel type de violence rencontre-t-on dans nos collèges ?
Le premier niveau de la violence, le plus dramatique sans doute, celui qui est repris par tous les médias, mais qui reste relativement exceptionnel dans les collèges algériens, est la violence pénalisable relevant des crimes et délits. Ce sont les vols, les extorsions, les coups et blessures, le trafic et l'usage de stupéfiants… Une autre catégorie, non pénalisable celle-là, concerne les «incivilités», c’est-à-dire ce qui est de l'ordre du bruit, du vandalisme, des injures. Il s'agit là d'un conflit des civilités qui va se jouer en termes de rapports entre des populations d'origines sociales différentes. Ce sont les codes élémentaires de la vie en société qui ne sont pas respectés et ces actes peuvent apparaître comme des menaces contre l'ordre établi. Cette forme de violence est grave et révélatrice d'une crise forte du lien social. C'est aussi celle qui est dominante en milieu scolaire et qui explique le malaise actuel bien plus que les violences brutales. Enfin, il y a le sentiment d'insécurité, ou plutôt le «sentiment de violence» qui résulte souvent des deux composantes précédentes. Cette insécurité est d'ailleurs souvent ressentie par des personnes qui n'ont pas été victimes de faits violents mais qui ont peur de l'être.
Répartition de la violence
La violence dans les écoles algériennes prend de nombreuses formes, y compris :
– la violence contre enseignants, étudiants, personnel administratif et personnel de l’école ;
– la destruction des contenus des classes ;
– les dégâts causés aux installations de l’école ;
– les émeutes devant et en dehors des écoles, se manifestant parfois par le jet de pierres sur les voitures des enseignants ;
– le vol et brûlage des documents et biens appartenant à l’établissement scolaire.
Cela se produit malgré l’existence de plusieurs circulaires indiquant les sanctions punissant ces infractions et délits. Ce qui est nouveau dans cette affaire, cependant, est que les attaques contre les enseignants et d’autres membres du personnel des établissements scolaires ne se limitent plus aux étudiants de ces institutions. D’autres parties s’impliquent dorénavant dans ces agressions, tels les parents de certains élèves, ou d’autres personnes qui sèment la terreur à l’extérieur et autour des écoles. Cela est particulièrement vrai pour les anciens élèves qui ont été expulsés et empêchés de terminer leurs études en raison de leur violence et comportements inappropriés à l’égard de leurs enseignants ou des institutions qu’ils fréquentaient. La violence est déterminée socialement. Plus le public est défavorisé, plus il est confronté au problème du chômage, plus il vit l'exclusion, plus les trois déterminants de la violence scolaire (violence pénale, incivilités, sentiment d'insécurité) sont forts. Ce qui montre bien que l'école a des difficultés à gérer l'exclusion sociale. Mais attention, il ne faut pas pour autant «ethniciser» ce phénomène et considérer que les élèves d'origine sociale défavorisée sont systématiquement plus violents que les autres.
C’est la faute à qui ?
La violence à l'école, c'est la faute aux profs, jugés trop laxistes, aux parents ayant démissionné de leur rôle, aux élèves devenus ingérables… En tout cas, c’est souvent la faute aux autres.
– On croit que c'est la faute aux parents, jugés démissionnaires.
– On croit que c'est la faute à la police, trop absente.
– On croit que c'est la faute à la justice, qui relâche les délinquants.
– On croit que les jeunes sont paumés, c'est la faute à l'échec scolaire, donc à l'illettrisme, donc aux professeurs des écoles.
– On croit que c'est la faute au ministère de l'Éducation nationale et à ses pédagogues.
– On croit que c'est la faute aux syndicats qui empêchent les réformes.
– On croit que c'est la faute au manque de crédits, donc à la mondialisation.
Et la mondialisation, en ce moment, plus personne ne la contrôle ; il n'y a rien à faire ou presque, car dans notre pays, il n'y a pas de responsable !
Et si nous étions chacun responsable ?
Ce sont là quelques-unes des causes de la violence et d’agressions à l’école, mais est-il possible de trouver une solution à ce dilemme ? Voici quelques suggestions qui pourraient limiter l’aggravation de ce problème :
1- améliorer l’état des écoles algériennes à travers leur ouverture sur leur environnement ;
2- identifier les objectifs du processus éducatif, et assurer l’égalité entre les élèves ;
3- assurer la surveillance des portails des écoles et de leurs environnements en vue d’éviter le harcèlement et les provocations qui ont lieu à l’extérieur de l’institution ;
4- recourir aux services d’experts psychiatriques, à l’orientation scolaire, au travail social et aux activités parascolaires ;
5- redonner au conseil de discipline ses prérogatives d’antan.
La violence et les attaques contre les enseignants et le personnel éducatif sont parmi les phénomènes engendrés par les changements affectant de nombreuses valeurs qui étaient liées au processus éducatif et aux acteurs chargés de l’éducation et de l’enseignement, ainsi que par la détérioration de l’appréciation et du respect vis-à-vis de ces acteurs. L’époque où le poète chantait son fameux vers «respectez les enseignants, car ils sont presque des prophètes» est certainement passée.
Hakem Bachir, professeur de mathématiques à Oran
 

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