Khalifa Bank, l’arrosoir (VI)
La libéralisation du secteur bancaire est intervenue avec la promulgation de la loi n°90-10 du 14 avril 1990 relative à la monnaie et au crédit. Les premiers signes de concurrence ont émergé depuis la fin des années 1990, avec l’entrée dans ce secteur de banques et établissements financiers privés nationaux et étrangers. La loi 90-10 relative à la monnaie et au crédit va constituer le fondement du nouveau système financier et sceller la fin du monopole de l’Etat. Sa promulgation, le 14 octobre 1990, s’est traduite par l’avènement de banques à capitaux privés, l’installation de banques étrangères et l’adoption par les banques publiques de nouveaux statuts les érigeant en sociétés par actions (SPA) soumises aux dispositions du Code du commerce. L’année 1998 marque un tournant décisif dans la vie politique algérienne. Le président Zeroual est pris dans une tourmente médiatique sans précédent. Son conseiller politique est directement ciblé. La presse n’y va pas de main morte. Mohamed Betchine, l’ancien homme fort des services de renseignement, étend ses tentacules à tous les secteurs d’activité. Il nomme ses hommes aux postes les plus sensibles. La loyauté prime la compétence. Toute la machine économique est entre ses mains. Le Rubicon est franchi à Club des Pins, lorsque, à l’occasion d’une rencontre officielle de haut niveau, ses hommes de main doublent les éléments chargés officiellement d’assurer la sécurité. Les «visées expansionnistes» de l’ami du Président sont désormais criantes. Betchine a tout l’air de vouloir créer un Etat dans l’Etat. Le président Zeroual écourte alors son mandat. Abdelaziz Bouteflika lui succède à l’issue d’élections présidentielles controversées. Le nouveau président n’a cure des critiques qui fusent de toutes parts. Sa priorité : relancer l’économie, seul remède efficace pour le rétablissement de la paix et la réhabilitation de l’image de l’Algérie à l’étranger. Sur le plan économique, les privatisations patinent. Les entreprises publiques moribondes ne trouvent pas acquéreur. Economistes et politiques ne sont pas d’accord sur le rythme à impulser au processus. Le gouvernement veut éviter une explosion sociale, tandis que les conseillers pressent les décideurs de crever l’abcès avant qu’il ne soit trop tard. La décennie noire a sensiblement retardé le pays. Les conséquences des sabotages ont coûté à l’Etat des milliards de dollars, tandis que les Algériens, encore sous le choc, ont de la peine à revivre normalement. L’économie est sous perfusion. Les établissements financiers font office de sérum. Les banques publiques occupent une large proportion de l’activité du secteur bancaire dans sa globalité. Ces banques représentent, selon un rapport sans complaisance du FMI, 91% des prêts à long terme et 84% des dépôts bancaires. Pour l’institution financière internationale, le coût budgétaire pour la restructuration des banques a été considérable à travers une recapitalisation qui a coûté 74,4 milliards de dinars et un assainissement des entreprises de 672,1 milliards de dinars à fin 2002. Evaluant le secteur bancaire privé, le FMI estime que son développement est encore modeste et souffre de point faibles : «La plupart de ces banques sont des affaires familiales dont les opérations et la comptabilité manquent souvent de transparence.» Khalifa Bank revendique alors 35% des opérations bancaires réalisées en Algérie en 2001. Une «réussite» qui incite Khalifa à créer une compagnie aérienne, Khalifa Airways. Les affaires marchent bien. Son entreprise de bâtiment Khalifa Construction rachète, le 26 septembre 2001, la branche internationale de Philip Holzmann, le géant allemand du bâtiment et des travaux publics. Limitée aux actifs situés à l'étranger, à l'exception des Etats-Unis, cette acquisition devait permettre d'investir plusieurs milliards d'euros dans la construction de logements en Algérie, dans le cadre d’une vaste opération prévue dans le programme de Bouteflika. Khalifa escomptait intégrer ce programme qui nécessite peu de fonds propres. La création de Khalifa Bank intervient dans un contexte de marasme tel que la modernisation des banques publiques relevait de l’utopie. Le gouvernement injecte dans un secteur bancaire moribond des sommes avoisinant 45% du PIB pour couvrir leurs déficits et ceux des entreprises publiques dont elles assurent le financement. Et au lieu d’en réformer le système, ces banques ont été plutôt amenées à octroyer davantage de financements pour les activités commerciales sans trop s’inquiéter sur la solvabilité de leurs clients. Les banques publiques croulent, depuis, sous un portefeuille important de créances douteuses. Le niveau de créances non recouvrables, soit 200 milliards de dinars, est tel que le ratio de pertes sur prêts dépasse les 60%. Dès lors, ces banques sont dans l'incapacité de répondre aux demandes de ressources du secteur productif solvable. Et lorsqu’elles accordent un crédit à court terme, les taux d'intérêts proposés sont trop élevés.
La situation est propice et Khalifa y trouve son compte. Il crée une banque du même nom et réussit à étendre ses activités hors de tout contrôle réel sur son mode de fonctionnement, profitant d’une carence en matière de régulation, de l’absence d’un véritable système financier, du faible niveau d’intermédiation financière, d’une gestion administrée des taux et des flux financiers en complet déphasage avec les besoins de l’économie.
M. Aït Amara
Demain : La Banque d’Algérie se réveille