Khalifa Bank : deux graves irrégularités (VII)
Le 13 juillet 2004, le tribunal d'Alger prononce la mise en liquidation d'Union Bank et de ses filiales, troisième banque privée après Khalifa Bank et la Banque de commerce et d'industrie algérienne (BCIA) à faire faillite en l'espace de deux ans. L’épisode Khalifa Bank-BCIA-Union Bank a montré les limites de la loi de 1990 rendant sa modification impérative. C’est à cet effet qu’a été promulguée l’ordonnance 03-11 du 26 août 2003 qui, dans son article 104, a introduit l’interdiction absolue à une banque ou un établissement financier de consentir des crédits à ses dirigeants, à ses actionnaires ou aux entreprises du groupe de la banque ou de l’établissement financier.
Au sens de cette disposition, les dirigeants sont les fondateurs, les administrateurs, les représentants et les personnes disposant du pouvoir de signature. Les conjoints et les parents jusqu’au premier degré des dirigeants et des actionnaires sont assimilés à eux. Tout scandaleuse qu’elle fut, l’affaire Khalifa Bank a au moins permis de se rendre compte des imperfections et des ambiguïtés qui caractérisaient la première mouture de la loi sur la monnaie et le crédit et d’apporter les réponses aux limites apparues dans l’application de celle-ci.
En théorie, le Conseil de la monnaie et du crédit a consolidé les conditions d’exercice de l’activité à travers une instrumentation réglementaire sévère, tandis que la Banque d’Algérie est supposée exercer une supervision bancaire de plus en plus rigoureuse. En octobre 2002, la Banque d’Algérie s’engage à contrôler le fonctionnement interne des banques et établissements financiers. Des décisions sont prises à l'encontre du Groupe Khalifa et de deux autres banques privées : la BCIA et l’Union Bank. La Banque d'Algérie lance un audit. Les inspecteurs chargés de passer les comptes de la banque Khalifa au peigne fin tombent des nues. Les irrégularités qu’ils y découvrent sont effarantes : une comptabilité approximative, des bons de caisse non conformes et des opérations de commerce extérieur irrégulières. Deux mois plus tard, la Banque d’Algérie gèle les opérations extérieures de la banque.
«Les grossières erreurs de Khalifa Bank n'ont pas été constatées lors de l'audit de l'automne 2002, mais plus d'un an auparavant. Or, plutôt que d'arrêter le massacre, certains hauts fonctionnaires de la Banque d'Algérie ont préféré prendre langue avec le milliardaire pour le convaincre d'entreprendre une vaste opération de nettoyage parmi ses cadres, ceux-ci étant au mieux incompétents, au pire corrompus. Après un entretien fort courtois, ils ont décidé de lui accorder un sursis d'une année», explique l'ancien patron d'un grand groupe industriel public au Nouvel Observateur (1). «Si le gouvernement et le parquet décident d'aller jusqu'au bout, les enquêteurs ne se heurteront à aucune difficulté pour établir la liste de toutes les personnes impliquées dans cette affaire», ajoute-t-il sarcastique. L’expression «complicités au plus haut niveau» brûle les lèvres. Brahim Hadjas, patron de l'Union Bank, va même jusqu’à affirmer être en mesure de prouver que la Commission s'est acharnée contre sa banque pour favoriser Khalifa : «Khalifa Bank n'avait de privé que le statut et elle était aussi bien, sinon mieux, protégée que les établissements publics.»(2) Il n’aura pas le temps de le faire, son établissement n’ayant pas résisté au séisme provoqué par son rival et qui a entraîné dans son sillage d’autres banques privées.
Complicité ou négligence ? Selon un proche du président Abdelaziz Bouteflika, «la création de Khalifa Bank n'a été possible que grâce à deux graves irrégularités des autorités monétaires. D'abord, elles lui ont accordé le statut de banque universelle, alors que son capital social, 500 millions de dinars, ne le permettait pas : il aurait fallu une somme deux fois plus importante. La nouvelle entité pouvait tout au plus prétendre au statut d'établissement financier. Ensuite, parce qu'elles ont fermé les yeux sur les conditions de la libération progressive du capital. Sur les 500 millions de dinars promis dans le dossier d'agrément, Khalifa n'en a libéré que le quart, soit 125 millions. Jusque-là, rien de scandaleux. Ce qui l'est davantage, c'est que les délais très élastiques qui lui ont été accordés lui ont permis de libérer le reste, beaucoup plus tard, avec l'argent des déposants».
M. Aït Amara
Demain : Khalifa Airways victime de la guerre économique entre Airbus et Boeing ?
(1) Le Nouvel Observateur, 6 avril 2003.
(2) Idem.
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