De l’Occident et du monde arabo-musulman
D'aucuns pensent que la politique américaine a accéléré le déclin de l'Occident libéral. Néanmoins, aucun ne peut prétendre que l'Orient, ou le reste du monde arabo-musulman, pourrait en tirer profit et réaliser un essor et se réjouir d'un avenir prospère. La raison en est simple : le monde arabo-musulman est un monde «morose» depuis la chute de Grenade en 1492. C'est un monde dont les «coreligionnaires» sont des ennemis qui se haïssent et se disputent ignoblement pour des raisons, pour le moins que l'on puisse dire, d'aucune argumentation probante, voire même superflue, j'ai presque dit puériles et nuisibles tant pour le présent que pour l'avenir. C'est également un monde dont la quasi-totalité de ses «pays frères» ont des différends politiques et /ou géographiques, les opposant les uns aux autres et les amoindrissent ensemble. C'est là le comble de la sournoiserie ! Ainsi, loin d'être unis ou de se sentir d'accord entre eux sur l'essentiel, les peuples du monde arabo-musulman, pour la plupart, perdent leur temps à rabâcher les mêmes discussions, indignes de l'être humain d'aujourd'hui et portant notamment sur le passé, alors que ce n'est plus admis, que l'autorité du passé anime et oriente encore notre vie, mais plutôt notre mode de pensée d'aujourd'hui et notre projet d'avenir. A ce propos, dans son œuvre Le Jour des Fourmis, Bernard Weber disait avec raison que «le moment le plus important c'est le présent, car si on ne s'occupe pas de son présent, on manque son futur». Autant dire que le peuple de ce monde arabo-musulman doit «oser penser par lui-même» comme disait Diderot, sinon il ne s'affirme pas comme étant réellement libre et indépendant, et sera par conséquent le premier à s'en mordre les doigts. Car cette aberration fait qu'il devient si facile à l'Occident de se prétendre son tuteur. Il doit également avoir «le courage de se servir de son propre entendement» comme disait Emmanuel Kant. Voilà la devise des «Lumières» qui a révolutionné l'Occident et a joué un rôle émancipateur et fondateur de la conscience européenne. «Il n'y a plus de Français, d'Allemands(…), il n'y a que des Européens», disait J.-J. Rousseau. Un tel constat est si amer, notamment, s'il est soutenu par des vérités aveuglantes qui ne pourraient que verser dans le scepticisme et signifier que ce monde arabo-musulman est en train de faire fausse route. En effet, plus de 70% des refugiés de par le monde lui appartiennent et les niveaux de développement dans cette partie du monde sont non seulement faibles, mais aussi et surtout, en baisse comparable à une chute libre. Au moment où l'Occident découvre, crée, invente et nous envahit par ses découvertes, nous ne faisons qu'acheter ses biens et services, tant il est vrai, que nous sommes assignés à nous limiter à se quereller sans fin, pour faire polémique et se consumer en efforts inutiles ; rien que pour des futilités, gaspillant notre temps et celui des générations futures, et conduisant inéluctablement à des situations navrantes. Ainsi, depuis des siècles, l'Occident nous transmet son savoir, ses techniques et ses arts, bouleverse et révolutionne notre mode de pensée et donne à notre civilisation un nouveau visage, grandement influencé par le cachet et les traits occidentaux. Bien que le monde arabo-musulman ait été le théâtre de plusieurs rencontres notables entre civilisations, de plusieurs chocs de civilisation qui, loin de tout conflit – n'en déplaise à Samuel Philippe Huntington –, ont permis des échanges réciproques et considérablement enrichi sa culture et son goût, il n'en demeure pas moins que sa vraie maturité ne peut être atteinte que lorsqu'il devient en mesure de s'approprier consciemment son existence et de s'en faire l'auteur, loin de toute soumission ou tutelle de quelque manière que se soit. Cela est d'autant plus vrai que, dès le début du XXe siècle, l'Occident se déclare comme étant la seule et unique civilisation digne de ce nom et incarnant un idéal de perfection. Pis, l'Occident croit à la supériorité intrinsèque de sa civilisation et estime n'avoir rien à apprendre des autres, mais qui serait tout au contraire, à même de leur apprendre tout. Il s'agit là d'un regard méprisant et humiliant porté sur le monde arabo-musulman. Regard qui peut s'inscrire dans le cadre de ce qu'écrivait Heinz Pagels dans L'Univers quantique : «La beauté est indissociable du regard de celui qui voit.» Regard, évidemment, qui ne croise nullement les regards des autres .Tout comme c'était, par le passé, le cas du sultan ottoman qui, pour reprendre l'expression de l'adorable historien anglais Arnold Toynbee, regardait l'Occident ex cathedra : «Il nous regardait de haut comme si nous étions des porcs.» C'était jadis, au temps où les Européens découvraient Platon et Aristote, l’astronomie et la médecine ainsi que d'autres disciplines grâce aux Arabes et à travers l'islam. C'était lorsque cette religion, vivait son âge d’or et ses heures de gloires. C'était lorsqu’elle forçait le respect et l'admiration de l'autre. C'est dire qu'elle était respectée et respectable, voire appréciée et appréciable. A telle enseigne que ce sont également les musulmans qui ont déplacé vers l'est le mode de pensée aristotélicien, outre que l'on enseignait Aristote, à l'université de Paris jusqu'au XIVe siècle, selon l'interprétation d'Ibn Rochd. Mieux, certains califes abbassides ont été avides de savoir au point d'échanger des prisonniers de guerre contre des livres. C'était aussi lorsqu'elle avait encore quelque chose à donner, comme disait Arnold Toynbee, citant encore une fois, le sultan ottoman : «Lorsqu'il a quitté sa religion et nous a suivis, nous l'avons méprisé, car il n’avait plus rien à donner.» C'était, enfin, quand le monde arabo-musulman n'était pas encore diabolisé et lié, dans l'esprit et la mémoire collective des occidentaux, de manière quasi-spontanée au terrorisme et à l'extrémisme, mais plutôt au savoir et à la technologie. Car on le considérait, à juste titre, comme le passeur de savoir. Nul n'est besoin de le rappeler, la situation aujourd'hui est inversée, à telle enseigne que le monde arabo-musulman est actuellement amenuisé, voire épuisé et essoufflé. Il traverse en cette étape de son histoire une crise multidimensionnelle qui pourrait être qualifiée de civilisationnelle. Il est, par ailleurs, la cible de critiques les plus nombreuses, formulées à tort et à travers par un Occident qui ne regarde les choses que selon son seul angle de vue et sa vision propre dominée par l'obsession d'en tirer profit. Un Occident qui est maître du monde et aspire à y rester longtemps. De là, il est plus enclin à l'affrontement qu'au dialogue des civilisations, eu égard, bien évidemment, à son haut niveau civilisationnel actuel. C'est pourquoi il est temps pour le monde arabo-musulman de sortir de cet état de minorité qui le caractérise – qui n'a que trop duré – et d'accéder aux «Lumières». Et ce, en faisant usage de ses potentialités humaines et matérielles incommensurables, et en se libérant de ses mauvaises traditions auxquelles il s'y était attaché si longuement, et qui sont tant d'obstacles à tout progrès dans son combat pour son développement et son essor. La moralité de l'Histoire et le nœud de la question est que, si nous voudrions faire avancer le monde arabo-musulman vers le progrès et le développement, et rentrer par là même dans l'Histoire et y jouer un rôle prépondérant, nous devrions entrer en concurrence avec la science, la technique et l'art de l'Occident, à l'effet d'établir un rapport de force qui nous soit favorable et ne plus se contenter d'être un simple marché de consommation, mais plutôt un espace potentiel de production, de création et d'innovation interminable qui suit bien le vrai sens de l'Histoire et contribue puissamment au progrès de l'Humanité. C'est là une lourde responsabilité qui nous incombe à tous, citoyens et institutions étatiques et de société civile. Dans une hypothèse différente et pour parler clair, les peuples du monde arabo-musulman seront, inéluctablement et pour toujours, rayés de la surface du globe et jetés ainsi aux oubliettes, sans dignité ni pitié.
Fethy Haboubi, ingénieur statisticien