Khalifa-Dreyfus : étranges similitudes (X)
Mais pourquoi Marseille ? Pourquoi pas un autre club ? Pourquoi pas un autre sport ? «Le football est le sport roi», répond du tac au tac le nouveau sponsor de l’OM. Quant au choix du club, la question n’a même pas lieu d’être posée. Les nombreux Algériens installés dans cette ville côtière située à moins d’une heure de vol d’Alger aiment à raconter cette anecdote, réelle ou fictive, à chaque fois qu’un Français les invite à plier bagage. L’histoire se passe dans un bar. Un Français, à demi dans les vapes, enivré par la haine, fulmine contre de Gaulle parce que le général à la stature géante «a abandonné l’Algérie aux Algériens». Un émigré, habitué des lieux, éméché mais suffisamment lucide, a la réponse toute faite : «Si cela peut vous rassurer, les Algériens aussi en veulent à Boumediene de n’avoir pas récupéré Marseille !» C’est que Marseille n’est pas tout à fait la France. Elle est quelque part entre la France et l’Algérie. Une sorte de territoire autonome qui a pour capitale le stade Vélodrome et pour président le patron de l’OM.
Héritier d’une famille de courtiers en céréales et d’armateurs, Robert Louis-Dreyfus touche à tout. En 1996, il succède à Bernard Tapie à la tête de l’Olympique de Marseille. Il puise dans ses fonds propres pour redresser la situation de l’OM qui frôlait la faillite lors de sa reprise. Son parcours dans le monde des affaires, sa passion pour le football et son penchant pour les dépenses irraisonnées ont indéniablement quelque chose de commun avec Khalifa. Les deux hommes se ressemblent presque. Non, ils se ressemblent trop.
Comme Dreyfus, Moumen Khalifa n’a pas bâti sa fortune tout seul. Il est né avec. Son père aurait indûment hérité du trésor du FLN parce qu’il aurait été le seul signataire légal. Bien sûr, ce n’est là qu’un bruit qui se répand dans le public. Des indiscrétions parlent, elles, de commissions touchées lors de l’achat par Air Algérie de ses premiers aéronefs lorsque Khalifa Laroussi siégeait à la tête de la compagnie. Vrai ou faux, il est notoirement admis que la rumeur circule toujours de haut en bas et jamais dans le sens inverse.
Comme Dreyfus, Khalifa butine. Quand l’homme d’affaires français se jette dans des secteurs aussi divers que la publicité, chez Saatchi & Saatchi, l'industrie du sport avec Adidas et la téléphonie avec Neuf Telecom, Khalifa fait de même. Il jongle avec l’industrie du médicament, le transport aérien, la banque, la location de voitures, la construction, etc.
Comme Dreyfus, Khalifa mobilise argent et avions pour venir en aide aux clubs de football algériens. Quand L’Express interroge Dreyfus sur les affaires et les crises qui ont jalonné l'histoire de l’Olympique de Marseille, dans lequel il a englouti beaucoup d'argent, il tente un dribble : «Il est certain que je n'ai pas eu le retour affectif de mes investissements financiers, mais il y a toujours l'espoir, la preuve en ce moment. Quoi qu'il en soit, je n'ai aucunement l'intention d'abandonner ce club, dont j'espère qu'il sera champion de France un jour prochain et heureux en Coupe d'Europe.»(1) Même feinte de corps par Khalifa qui avoue ne pas trop s’inquiéter sur les dépenses permises par une banque ouverte à tous les vents. Dreyfus tourne le dos au patronat français. Il s’explique : «N'ayant pas fait l'ENA, je n'y compte ni amis ni relations. Et, d'ailleurs, je n'en recherche pas. Et puis, il faudrait tout de même que l'on démystifie un peu le monde de l'entreprise dans ce pays où l'on ne compte pas que des prix Nobel ! Je préfère de loin, pour ma part, passer une bonne soirée à Salzbourg en compagnie d'un grand chef d'orchestre et de mes amis qu'avec le PDG d'une multinationale. Vous savez, en trente ans, c'est mon premier job dans l'Hexagone. Ma seule fierté, en vérité, est d'avoir été, à 27 ans, le premier Français – non bachelier – à avoir fait Harvard.»(2) Khalifa éprouve le même sentiment de dédain à l’égard du patronat algérien : « Je n’ai jamais voulu faire partie des organisations patronales parce que je ne crois pas en leur efficacité.»(3)
Il y a tant de points communs entre les deux hommes que l’on est forcés de croire à un enchaînement de faits qui s’intriquent et forment la trame d’une conjonction qui a débouché sur la signature du contrat de sponsoring qui sera résilié deux ans plus tard.
M. Aït Amara
Demain : Stations de dessalement : la soif d’argent
(1) L’Express du 17 mai 2004
(2) Idem.
(3) Le Soir d’Algérie du 10 novembre 2003.
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