Affaire Khalifa : les premières arrestations (XIII)
Aéroport Houari-Boumediene, le 24 février 2003. Le soleil vient de décliner. Trois gentlemen, l’allure élégante, pénètrent dans l’aéroport en roulant des épaules. Normal, ils sont jeunes, riches et puissants. Ils se soucient peu des formalités douanières. Ils ont coutume de passer le check point sans coup férir. Une facilité déconcertante favorisée par la déliquescence d’un Etat qui a laissé s’invétérer de mauvaises habitudes.
Un jour comme un autre. Banal. Les agents de la PAF s’ennuient ferme depuis que les jeunes désirant se rendre à l’étranger ne sont plus tenus de présenter la carte militaire d’exemption ou de sursis. Plus de «dangereux insoumis» à choper ! Les douaniers s’affairent à fouiller sans conviction les bagages de voyageurs pressés de quitter le hall répulsif de l’ancienne aérogare bâtie sous l’ère coloniale, en 1921, par les services de la navigation aérienne de l’époque. Côté départs, un agent, nonchalant, perché sur un tabouret, siffle négligemment un air quelconque en tapotant des doigts sur un pupitre en contreplaqué lissé.
Djamel Guelimi, PDG de Khalifa TV, vice-président du Groupe et conseiller personnel de Khalifa, Samy Jacques Kassa, ressortissant français associé de Khalifa à KRG Pharma, et Samir Khelifa, responsable de la division catering de Khalifa Airways en Espagne, sont loin de se douter qu’ils s’apprêtent à sonner le glas du Groupe Khalifa. L’atmosphère est moins délétère qu’il n’y paraît. La nuit vient de tomber et, à cette heure-ci, l’aérogare n’est pas aussi fébrile que dans la journée. Les agents préposés au contrôle des voyageurs ont tout le temps d’opérer une fouille en règle. L’hameçon accroche : deux millions d’euros en petites coupures sont découverts chez les trois cadres de Khalifa. Une bagatelle pour le commun des mortels, du menu fretin pour une nouvelle frange d’Algériens qui a désappris à distinguer entre une liasse d’euros et une rame de papier bifteck. La nouvelle fait le tour des rédactions. L’opinion prend vent. La réputation du jeune milliardaire, exemple de réussite, en prend un coup.
L’affaire prend un cours irrémissible. Une série d’interrogations taraudent l’esprit : combien d’autres millions Khalifa a-t-il sorti clandestinement du territoire national ? Les services compétents ignoraient-ils vraiment cela ou ont-ils laissé faire pour prendre le ou les suspects en flagrant délit ? Y avait-il complicité au niveau de l’aéroport ? «Abdelmoumène Khalifa remplissait les comptes en attirant les fonds par de forts taux d'intérêt compris entre 17% et 21% par rapport à ceux pratiqués – 5,4% et 7% – sur la place financière. Il a même proposé des taux de 24% pour des bons de caisse. Une partie de cet argent a été transférée vers l’étranger et a servi à l'acquisition de biens. Abdelmoumène Khalifa a sali l’argent propre et non pas, comme disent certains, blanchi de l’argent sale», explique Moncef Badsi, liquidateur de Khalifa Bank. Une réponse partielle dans un sac de nœuds.
Jugés en novembre 2003, les trois collaborateurs de Khalifa sont condamnés à une année de prison ferme par le tribunal d’El-Harrach suite à l’appel introduit par leurs avocats. Lors du premier procès, le juge avait prononcé une peine de trois ans ferme et une forte amende. Leur peine sera ainsi commuée et ils ne seront condamnés qu’à une année de prison ferme et à une amende de deux milliards de centimes, soit l’équivalent en devises fortes de la somme saisie sur eux à l’aéroport d’Alger neuf mois auparavant. Les trois voyageurs indélicats étaient libérables dès mars 2004, ayant purgé les trois quarts de leur peine durant le déroulement du procès. Khalifa prend attache avec les familles des prévenus et propose de mettre à leur disposition ses propres avocats, mais celles-ci refusent. Le père de l’un d’eux se serait même rendu à Londres où il y aurait rencontré le protégé de Sa Majesté. Ce dernier aurait invité son hôte à persuader ses trois collaborateurs à économiser leur salive face au juge, contre une forte somme d’argent. L’information est révélée par Le Quotidien d’Oran. Si le «scoop» est à prendre avec des pincettes, il n’en demeure pas moins que les accusés ont épargné le boss. Dans cette affaire du moins. La machine s’emballe. Khalifa est soumis à un tir croisé : les autorités algériennes, les justices française et britannique, et, enfin, ses propres employés qui, dès fin mars 2003, décident d'assigner leur direction devant les prud'hommes de Bobigny, l’équivalent de l’Inspection du travail en Algérie. Afin de garantir le paiement de l'ensemble de ses anciens employés, Khalifa procède depuis Londres au virement de 392 904 euros sur le compte professionnel de ses deux avocats parisiens, Mes René Bouvier et Joël Chemouilli. La somme transite par le compte professionnel de Mes William Bourdon et Emmanuel Burget, deux des avocats de la quarantaine de salariés mécontents. Lundi 14 avril après-midi, les salaires impayés de février sont versés aux 193 employés de Khalifa TV, tandis que ceux de mars seront honorés par le Groupement des Assedic de la région parisienne. A ce moment, Khalifa n’a qu’un genou à terre, même si KTV accuse un passif de 9,280 millions d'euros. Il ose encore des incursions médiatiques via ses avocats. Me Chemouilli explique la démarche dans les colonnes du journal Le Monde : «Nous avons choisi cette opération, car nous ne pouvions pas faire 193 chèques. M. Khalifa n'était en outre pas tenu de débloquer les salaires de février sur ses deniers personnels. Il aurait très bien pu s'en remettre aux assurances professionnelles.» L’amitié qui lie Khalifa et Guelimi se fissure. L’homme d’affaires ne se gêne pas de jeter en pâture le directeur de la chaîne. Il prend le soin de ne dire ce qu’il pense que par la bouche de ses avocats : «Notre client (Khalifa, ndlr) tire les conséquences de nombreuses erreurs, notamment dans le choix de certains anciens dirigeants de la chaîne», plaide Me Chemouilli.
M. Aït Amara
Demain : Khalifa tire à boulets rouges sur Bouteflika
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