Tué par l’égoïsme
Notre grande erreur a toujours consisté à croire que tous nos problèmes ne pouvaient trouver leur explication que dans une administration médiocre, un pouvoir vaniteux, un Etat chancelant. Mais nous oublions – ou feignons d’oublier – que cette administration, ce pouvoir et cet Etat ne sont pas une excroissance ; c’est une composante du peuple, celles et ceux qui les composent en étant issus eux-mêmes. Dire qu’il existe deux Algérie, celle des gens riches heureux et celle des pauvres paumés, est faux. Dans la situation actuelle du pays, le malaise est tellement profond que ni les nantis sont assurés de pouvoir maintenir leur prospérité ni les infortunés aspirent à s’enrichir ; ils en rêvent certes, mais ils savent que dans les conditions actuelles, ils ne pourraient y parvenir qu’en montant une côte en danseuse ou en empruntant des voies qui serpentent. Le suicide d’un haut fonctionnaire de la wilaya de Mascara nous a amené à ce postulat. Vues de l’extérieur, ces citadelles que sont les ministères, les wilayas, les mairies, le Parlement et toutes ces institutions que le citoyen a extraites de ses pensées pour éviter toute apparition d’idées suicidaires, apparaissent comme une source d’enrichissement personnel où tous ceux qui s’y trouvent sont tous forcément faits avec la même pâte et dans le même moule. Or, le suicide du Drag de Mascara prouve que les choses ne sont pas aussi évidentes qu’elles n’y paraissent. Le problème de l’Algérie ne réside pas dans ses citoyens – gouvernants et gouvernés – pris un à un, mais dans la façon dont est organisée la vie sociale. Dans la logique algérienne, un citoyen heureux est un citoyen qui a réussi à se forger une place particulière dans les sphères du pouvoir ou dans les rouages d’un système économique parallèle en théorie frauduleux et interdit, mais paradoxalement envié. En se donnant la mort pour des raisons qui seront forcément élucidées, ce haut fonctionnaire de la République qui n’a eu d’autre choix que de retourner son arme contre lui nous a donné un cours magistral imagé sur notre profond malaise face à une conception complètement fausse de ce qu’est la vie en communauté dans un même espace, sous un même drapeau. Par-delà l’acte physique, le Drag de Mascara a été tué par cet égoïsme ambiant qui tue en nous l’amour de la patrie chaque jour un peu plus.
M. Aït Amara
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