Bouteflika : trois mandats en deux mots
Le troisième mandat ne s’est pas déroulé comme prévu pour Abdelaziz Bouteflika. Mal élu en 1999, après le retrait de tous ses concurrents, le nouveau président – revenu sous le feu de la rampe après vingt ans d’une absence qu’il aime à qualifier de «traversée du désert» –, loin d’avoir été affecté par cette manœuvre, avait su retourner la situation en sa faveur en compensant cette défection, ressentie comme une traîtrise, par le «choix du peuple». Son discours populiste lui avait permis de gagner la confiance d’une bonne partie de la société. A la fin du premier mandat, le président prolixe et hyperactif dit avoir besoin de rempiler pour achever les nombreux et gigantesques projets lancés après cinq «courtes» années. Malgré les nombreuses mises en garde d’observateurs avertis de la scène politique nationale, et face à des candidats plus jeunes, Bouteflika arrache un deuxième mandat «haut la main». La rue applaudit cette victoire, en avançant l’argument de la continuité nécessaire d’une politique de reconstruction du pays et de réconciliation nationale après les éprouvantes années de terrorisme. Ses partisans avaient aussi opté pour le choix le moins risqué : un président qu’on connaît déjà serait moins nuisible qu’un nouveau qui risquerait d’être grisé par le pouvoir. L’Algérie tout entière était déjà transformée en un vaste chantier et la manne pétrolière offre au président réélu la marge de manœuvre nécessaire pour «terminer» son programme mis en place cinq ans auparavant. Au moment où le citoyen commence à ressentir un retour graduel de la stabilité, Bouteflika surprend tout le monde en décidant de tailler une Constitution sur mesure pour s’assurer, chuchote-t-on, une présidence à vie. Lui explique qu’un troisième mandat est impératif pour finir son œuvre qui a pris du retard pour moult raisons. En 2009, les résultats de la présidentielle sont annoncés par un Yazid Zerhouni, ministre de l’Intérieur, au summum de son impopularité. Le président fraîchement réélu perd ses hommes un à un. Le vent tourne. Le monde arabe est en ébullition. Lui est épargné, mais il ne doit son salut qu’à une aisance financière qui lui permet d’acheter une paix sociale en distribuant la manne pétrolière aux fonctionnaires sans leur demander le moindre effort en contrepartie. Cette distribution à tire-larigot des deniers publics s’ajoute à un gaspillage de temps, d’énergie et d’argent dans des rafistolages politiques fondés sur le clientélisme, donnant lieu à un parlement honni par le peuple et une classe politique dévorée par la cupidité. Les affaires de corruption se multiplient et l’entourage direct du président est éclaboussé. Déjà fragilisé par le tohu-bohu provoqué par Khalifa, Bouteflika sera égratigné quelques années plus tard par le scandale de l’autoroute Est-Ouest, avant d’être définitivement déstabilisé par l’affaire de la société nationale Sonatrach – l’unique source de revenus pour les Algériens – par un de ses plus fidèles ministres, Chakib Khelil, devenu pour le commun des mortels le symbole par excellence de la scélératesse. Son frère est désormais sur toutes les langues. Dernier rempart avant de l’atteindre, lui personnellement ? Le temps nous le dira. Peut-être. En se faisant soigner de nouveau en France, Bouteflika admet – par un geste réel et non pas par une parole volatile – qu’entre l’illusion entretenue d’un pays qui avance à grands pas après s’être débarrassé de la puissance coloniale et la réalité d’une nation qui se cherche encore cinquante ans après son indépendance, l’écart n'a jamais été aussi grand.
M. Aït Amara
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