Pourquoi les régimes de retraite sont-ils en faillite dans le monde occidental ?

Les ouvriers et les employés, du moins ceux qui ont la possibilité de travailler malgré le chômage qui assaille l’économie, font face à un problème gravissime : leurs régimes de retraite sont menacés d’insolvabilité. C’est le cas aux États-Unis, au Canada et au Québec. Les régimes de retraite – qu’on ne retrouve habituellement que dans les pays développés d’Occident – sont des concessions que les capitalistes monopolistes ont accordées aux ouvriers et aux employés afin de les apaisés après les grands soulèvements des années 1968-1972. Ce sont des chaînes dorées pendues au cou des salariés afin de les maintenir en servage dans les usines et pour leur faire oublier leurs conditions de métayers exploités de qui on soutire la plus-value et les profits. L’immense exploitation, par les monopoles impérialistes transnationaux, de tous les peuples néo-colonisés d’Afrique et d’Asie a permis aux riches d’accorder cette concession aux ouvriers des pays avancés. Mais depuis des années la conjoncture s’est dégradée. Depuis le début du millénaire les affaires des milliardaires tournent à l’envers. La crise économique de 2008 a marqué la fin d’un cycle et l’ouverture d’un nouveau cycle dans le développement impérialiste. Ce n’est pas la crise de 2008, pas plus que la prochaine, qui a entraîné la débâcle économique. Ces crises à la chaîne sont la conséquence de la crise générale du système de production qui ne parvient plus à se reproduire. La crise financière, boursière et monétaire qui s’accélère est l’expression ostentatoire de cette débandade du mode de production et la preuve indiscutable du déplacement du centre de gravité du système impérialiste mondial de New-York vers Shanghai, la nouvelle Mecque de l’impérialisme international. La crise des régimes de retraite n’est qu’une conséquence ultime de la crise générale du système d’économie politique décadent. La solution des milliardaires – par la voix de leurs «experts» universitaires et des petits hommes d’affaires est la même que pour toute autre affaire – faire payer les ouvriers pour la dégringolade des régimes de pensions accompagnant la déroute du système impérialiste en banqueroute.
L’état des lieux
Au Québec le système de pension pour les aînés est structuré en trois étages. Au premier étage, se trouve le régime de la sécurité de la vieillesse. Il s’agit d’une prestation mensuelle offerte à la plupart des citoyens canadiens mise en place par le gouvernement fédéral à même les impôts soutirés aux ouvriers, et comprenant la pension de la sécurité de la vieillesse, le supplément de revenu garanti, et l’allocation au conjoint. En vertu de ce régime plus d’un million trois cent mille québécois et québécoises reçoivent chacun un montant annuel de 6 553 $ imposable. Eh oui imposable, pas question de planquer cette «fortune» dans un paradis fiscal.
Le deuxième étage est constitué d’un régime à cotisation variable pour tous les travailleurs – le Régime des rentes du Québec – sous gestion du gouvernement québécois, administré fiduciairement par la Caisse de Dépôt. Au 31 décembre 2011, le Régime des rentes du Québec comptait quatre millions de cotisants et 1,5 million de bénéficiaires d’une rente de retraite. À 65 ans, la rente maximale peut aller jusqu’à 12 150 $ par année imposable. Encore une fois pas de fraude fiscale vers les Iles Caïmans avec cette «fortune» économisée par les salariés (1).
Le troisième étage regroupe les initiatives engagées par les employés en vue de financer leur retraite, soit les régimes complémentaires établis par des travailleurs du secteur public ou du secteur privé auxquels s’ajoutent pour le tiers (33%) d’entre eux des économies personnelles telles que les régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER) (2).
La crise des régimes de retraite
Depuis le tournant du siècle, rien ne va plus pour ces régimes de retraite, principalement ceux à prestations déterminées (3). Alors que dans les années 1990 ces régimes accumulaient des surplus, l’accentuation de la crise économique a complètement changé la donne. Alors que les employeurs s’attribuaient fréquemment des congés de cotisations en raison des forts rendements boursiers, depuis l’approfondissement de la crise ces régimes se sont mis à accumuler des déficits. Aujourd’hui, on observe que :
– un tiers des Canadiens n’ont aucune épargne-retraite personnelle et ils sont encore plus nombreux au Québec ;
– à la fin de 2011, 93 % des régimes de retraite à prestations déterminées étaient sous-capitalisés, selon le Bureau du surintendant des institutions financières du Canada ;
– ces problèmes touchent surtout le secteur privé, mais aussi le secteur public, principalement les municipalités (le quart du déficit global).
«Face à cette situation, bien des régimes canadiens ont été modifiés pour transférer le risque des employeurs sur le dos des salariés. Ainsi, le nombre de salariés bénéficiant de régimes à prestations déterminées (dont le risque est assumé par l’employeur à même la plus-value arrachée aux ouvriers, NDLR) diminue tandis que le nombre de ceux qui participent à des régimes à cotisations déterminées (dont le risque est assumé par le salarié à même son salaire, NDLR) explose. Au Québec le nombre d’adhérents à des régimes à cotisations déterminées a plus que doublé (hausse de 135 %) entre 1992 et 2011, tandis que le nombre d’adhérents à des régimes à prestations déterminées diminuait légèrement (de 5%» (4). Le Québec compte quatre millions de salariés, dont 1,9 million (47%) qui ne participent à aucun régime de retraite collectif ni même à aucun régime personnel (5). D’autre part, 1,4 million de travailleurs participent à l’un ou l’autre des 750 régimes complémentaires de pension, soit 513 000 salariés dans le secteur privé et 866 000 employés dans le secteur public. Au moins soixante-dix pourcent (70%) de ces régimes de pension sont dans l’impasse financière sévère et leur dette cumulée totalise 41 milliards de dollars. Voilà l’héritage des congés de cotisation que les patrons se sont accordés d’autorités (!) Devant cette faillite appréhendée la solution des riches est connue – il faut hausser les «taxes» de retraite, presser davantage le citron de l’ouvrier consommateur-contribuable-taxable à merci. Mais pas facile de hausser les cotisations de ceux qui sont toujours mis à contribution par l’impôt, les taxes, les cotisations, les frais des services et des transports publics, les «tickets modérateurs», les taxes municipales, les cotisations syndicales, etc. Surtout, que rien ne garantit que ces augmentations de cotisations sauvent leurs régimes de pension en perdition.
Un comité d’«experts»
Un comité d’experts sur l’avenir du système de retraite québécois a donc été mis sur pied comme chaque fois qu’un gouvernement souhaite préparer l’opinion publique à pressurer l’ouvrier et à « produire du consentement » chez les gens. Le Comité présidé par M. Alban D’Amours a déposé son rapport le 22 avril 2013. Ces «experts» ont identifié quatre causes pour expliquer l’insolvabilité des régimes :
1) «Les travailleurs vivent trop vieux, s’ils mouraient plus nombreux ça irait mieux.» Ridicule, comme vous l’imaginez. Les actuaires et les démographes qui dans les années quatre-vingt ont calculé les primes à payer et les indemnités à recevoir ont parfaitement apprécié cette hausse de longévité. Tout comme ils ont prévu que dans les sociétés occidentales avancées nous avons aujourd’hui atteint un palier de longévité qu’il sera difficile de dépasser pour au moins quelques années.
2) «Les ouvriers et les employés n’économisent pas suffisamment.» Comment thésauriser quand le salaire gagné suffit à peine à assurer la reproduction de la force de travail et les commodités de la famille ; que l’emploi est sans cesse menacé par le chômage généralisé ; et que le salaire est comprimé par la concurrence des chercheurs d’emplois harcelés par les nervis d’Emploi Canada qui coupent dans les prestations d’assurance chômage ?
3) «Les employés ne paient pas assez et ils sont trop gourmands quand vient le temps d’encaisser la pension qu’ils se sont payés avec prestations déterminées.» Les hommes d’affaires-commissaires suggèrent que les employés devraient renoncer aux avantages acquis avec l’argent qu’ils ont épargné. Pourtant, une enquête fédérale révèle que 22 % des foyers canadiens vivent sous le seuil de pauvreté dont nombre de familles de personnes âgées-retraitées. Pour le gouvernement canadien, est pauvre tout individu disposant de moins de 18 421 $ par année. Cette somme pourrait sembler énorme aux ouvriers du tiers-monde mais le coût de la vie étant ce qu’il est au Canada ce montant suffit à peine à survivre misérablement (6).
4) «La durée de la vie active en nombre d’années de travail-cotisant au régime de retraite diminue constamment» rajoute Maître Alban. En effet, le chômage frappe si durement que l’employé cotise moins d’années. Par contre, nombre de travailleurs retardent leur prise de retraite au-delà de l’âge autorisé (65 ans) et nombreux sont ceux qui retournent travailler après avoir pris leur retraite car la pension reçue ne suffit plus pour survivre.
De fait, les régimes de pension des travailleurs, sont strictement des fonds d’épargne collectifs, auxquels seuls l’ouvrier contribue, même quand les cotisations transitent par la plus-value, expropriée par l’employeur, puis rétrocédée et déposée dans ces «bas de laine pour thésauriser» comme les appelaient les anciens canadiens. Les fonds de pension sont victimes de la crise économique du système capitaliste. Ces immenses fonds de capitaux, gérés par les capitalistes financiers qui se payent une commission au passage, sont par eux dilapidés à spéculer sur le marché boursier en déroute et à renflouer leurs entreprises en banqueroute. Rien de ce qu’ils pourront imaginer pour sauver leur système ne fonctionnera. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’il s’effondre inexorablement emportant dans l’horreur les épargnes des travailleurs.
Les vrais raisons de l’insolvabilité des régimes de pension
1. Au Canada la crise a détruit au moins 677 000 emplois depuis 2008, autant de cotisants en moins dans les régimes de retraite collectifs.
2. De plus, toute proportion gardée, les salaires réels sont pour ainsi dire gelés depuis des années. Comme les cotisations sont calculées en pourcentage du salaire gagné, si le salaire n’augmente pas les cotisations n’augmentent pas.
3. La crise des «subprimes» et des «produits boursiers-dérivés frauduleux» de 2008 a fait disparaître des milliers de milliards de dollars d’épargne que les institutions de gestion des fonds de pension – Caisse de Dépôt et de placement du Québec, Fonds de Solidarité FTQ et CSN notamment – avaient engagées dans ces paris risqués de la loterie boursière frauduleuse.
4. Enfin, la crise économique a fait s’effondrer les rendements des placements et a mené à la faillite de nombreuses entreprises qui ont emporté les fonds de pension des ouvriers dans leur délocalisation, en fuite vers l’Asie-Pacifique (7).
5. De plus, à cause des immenses dettes souveraines qui grèvent la plupart des États capitalistes, les taux d’emprunt courant sont maintenant très bas, ce qui entraîne que les rendements sur les placements financiers sont diminués. Pour le moment le capital industriel rapporte, du moins pour un certain nombre de monopoles très concurrentiels comme Samsung qui vient de déclarer 4,9 milliards d’euros de bénéfices pour le premier trimestre de 2013, alors que le capital financier spéculatif donne des rendements très décevants (8). Un exemple parmi d’autres de la fraude des pirates des fonds de pension, le monopole américain Singer, installé à Saint-Jean-sur-Richelieu depuis 1906, a décidé de délocaliser son usine vers l’Asie. Il a fermé ses portes par étapes entre 1964 et 1986 emportant avec lui le régime de retraite des salariés. Les travailleurs ont aussitôt entrepris de longues procédures judiciaires pour récupérer leurs dollars économisés et spoliés. S’ensuivit une enfilade de procès qu’ils ont gagné si bien qu’après vingt ans de procédures les quelques vieux ouvriers toujours vivants ont reçu une petite indemnité tout juste suffisante pour les enterrer. Voilà l’impérialisme dans toute sa nudité (9). Voilà les raisons profondes de la faillite des fonds de pension publics ou privés. Voilà ce que le Comité de pseudos experts sur les régimes de retraite a voulu taire à la grogne populaire. Le système économique impérialiste est en faillite et toutes les bases financières sur lesquelles il repose s’effritent emportant avec elles les fonds de pension des travailleurs comme elles emportent tout le reste. Le Comité d’«experts» a accouché d’une recommandation pour « renflouer » les fonds de pension minés par la crise économique et le krach boursier. Ces gens d’affaires et autres thuriféraires, tous parangons du capital parasitaire,cproposent non pas de forcer les entreprises à verser leur dû à même la plus-value extorquée et de renflouer les fonds de pension qu’ils ont pillés, mais de créer un nouveau fonds de pension, la «Rente Longévité» qui accaparera 3,3% supplémentaire du salaire des ouvriers – déjà lourdement grevé – l’équivalent de 4 milliards de dollars par année de cotisation supplémentaire arrachée aux salariés déjà paupérisés, argent que les institutions financières administreront en prenant leur quote-part au passage et qu’elles placeront dans des fonds boursiers risqués qui failliront un jour ou l’autre (10). Les ouvriers n’ont aucun contrôle ni aucun pouvoir sur la gouvernance et le développement du mode de production impérialiste, ni sur l’administration du système bancaire-financier-boursier, même pas sur la gestion de leur propre régime de pension dont l’administration est accaparée par des trusts financiers monopolisés ; ils ne sont donc pas responsables de l’effondrement de ce mode de production moribond. Il est hors de question que nous exigions la gestion de ces fonds de pension, qui ne peuvent que s’étioler en même temps que le système impérialiste dans son entièreté, peu importe qui l’administrera. L’autogestion de la crise impérialiste n’est ni une option, ni une solution.
Les ouvriers doivent se préparer à renverser toute cette coterie de pseudo-génies chargés de les embrouiller, de les culpabiliser et de leur imposer un nouveau régime de «sécurité» ; un nouveau régime de pension-longévité qui ne peut que finir dans le caniveau et dans l’insécurité comme tous les précédent, tous ceux existants et tous les suivants.
Robert Bibeau
 

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