Le directeur adjoint de l’OMC à Algeriepatriotique : «L’adhésion de l’Algérie suppose aussi des concessions»
Le onzième round des négociations pour l’adhésion de l’Algérie à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a été achevé et l’on s’apprête à entamer le douzième, avant la fin de l’année en cours. Quel bilan faites-vous des discussions menées jusqu’à présent par l’Algérie dans le cadre du processus d’adhésion, surtout que depuis 2008 il n’y a pas eu d’avancées notables dans ce sens ?
Je crois que l'entrée dans l'OMC est bénéfique pour un pays en développement comme l'Algérie. Il suffit de regarder les pays émergents qui affichent aujourd'hui fièrement une croissance autour de 6%. Mais, finalement, la vitesse des négociations repose sur la volonté politique des dirigeants algériens. Eux seuls peuvent déterminer s'ils sont enclins à effectuer les modifications nécessaires pour se mettre en conformité avec les accords de l'OMC. En tout cas, la reprise de ces négociations est un signal positif lancé par le gouvernement algérien. Une nouvelle page du processus de négociation est engagée et nous espérons qu'elle marque la fin du chapitre.
L’Algérie a procédé à la signature de plusieurs accords bilatéraux. Peut-on dire que la date d’intégration de l’Algérie à l’OMC se rapproche ?
Il s’agit d’une négociation entre l’Algérie et les membres de l’OMC. Il est ainsi difficile de prédire la date de conclusion de ce chapitre, car ce sont les membres qui décident si les offres révisées d’engagements spécifiques concernant les marchandises et les services, présentées par le gouvernement algérien sont satisfaisantes. Les membres saluent en effet la conclusion de plusieurs accords bilatéraux notamment avec quatre membres, à savoir Cuba, l’Uruguay, le Brésil et la Suisse. Mais ils ont également constaté que beaucoup restait à faire autour des politiques monétaire et budgétaire, les tarifs, les obstacles techniques au commerce, la propriété d’État et la privatisation, le régime d’investissement, la politique d’établissement des prix, les restrictions quantitatives à l’importation et l’évaluation en douane, la politique de concurrence, parmi d'autres thèmes. Dans ces domaines, les membres doivent constater que les lois et les réglementations de l’Algérie sont en conformité avec les obligations qui découlent des accords de l’OMC.
Le refus de l’Algérie de libéraliser les prix de l’énergie est-il toujours de nature à bloquer son adhésion à l’OMC ?
C’est une question soumise à négociation avec les membres de l’OMC.
Quels sont les avantages que l’Algérie pourrait tirer de son intégration dans l’espace OMC ?
L'intégration dans le système commercial multilatéral signifierait pour l'Algérie une plus grande prévisibilité et une stabilité des échanges, un accès élargi aux marchés des membres de l'OMC, des droits de douane abaissés, une réduction du coût de la vie, un accès à des technologies de pointe. De plus, l'accès aux marchés extérieurs pour les exportations agricoles et industrielles algériennes serait un premier pas vers la diversification de l'économie. La liste est longue. D'une manière générale, les bénéfices de l'accession à l'OMC contribuent au développement d'un pays. Regardez la Chine qui a sorti 400 millions de personnes de la pauvreté depuis qu'elle a adhéré à l'OMC en 2001.
A contrario, y a-t-il des inconvénients ? Doit-elle faire des concessions ?
Effectivement, ces avantages supposent des concessions car à l'OMC, c'est donnant-donnant. Pour gagner plus en matière commerciale, on doit donner plus. C'est le principe même de la négociation. Mais, en réalité, l’ouverture graduelle du marché algérien ainsi que l’objectif de transparence doivent – même si on les appelle «concessions» – être bénéfiques à l’économie algérienne.
Le Brésilien Roberto Azevedo vient de succéder au Français Pascal Lamy. Faut-il s’attendre à des changements dans la politique de cette institution dans le sens d’une prise en compte plus importante des intérêts des pays du Sud ?
Il ne faut pas oublier que le directeur général de l'OMC a une position impartiale, c'est la figure représentante de tous les membres. Ce que cette sélection montre, c'est que l'OMC est une organisation diverse, et son leadership, historiquement, reflète cette diversité. En ce qui concerne les intérêts des membres, c'est à travers la négociation qu'ils sont discutés. Le directeur général – ou facilitateur –, qu'il s'agisse de Pascal Lamy ou de son successeur, agit en qualité d'arbitre lors de ces négociations.
Quelle est la part du symbolique dans l’élection d’une personne issue d’un pays du Sud pour diriger l’OMC ?
Je crois que la symbolique est forte, en effet. Encore une fois, en termes de représentation. Jusqu'à présent, les continents qui ont servi l'OMC sont l'Asie, l'Europe et l'Océanie. Cette sélection montre qu’il y a des personnes très compétentes dans les autres régions du monde telles que l’Amérique latine. Elle montre aussi l’engagement des pays émergents dans l’organisation.
L’OMC risque-t-elle de devenir inutile comme le prévoient certains spécialistes qui avancent comme argument la tendance dominante aux accords commerciaux régionaux ?
Je crois qu'il ne faut pas prendre les choses sous cet angle, mais plutôt se demander comment on pourrait mieux intégrer ces deux types d'accords à l'OMC afin de les rendre davantage complémentaires. En outre, l'expérience a prouvé que les accords bilatéraux contribuent à l'ouverture des échanges – qui est l'un des objectifs de l'OMC. En tout cas, pour l'instant, environ 85% des échanges mondiaux s’articulent autour des taux tarifaires négociés dans le cadre de l’OMC et de la clause de la nation la plus favorisée. Seuls 2% des tarifs dépassant les 10% sont renégociés dans le cadre d’accords commerciaux préférentiels. Donc, pas d'inquiétude à ce stade.
Selon les autorités cubaines, les Etats-Unis s’emploient avec obstination à piller les marques cubaines à écho international telles que Cohiba ou Havana Club, violant les règles de l’OMC relatives à la protection de la propriété intellectuelle. Qu’en pensez-vous ?
En tant que directeur général adjoint, je ne suis pas tenu de penser quoi que ce soit des différends qui concernent les membres.
On dit que l’accord de l’OMC sur les aspects liés aux droits de propriété intellectuelle qui touche au commerce (accord sur les ADPIC) gêne les pays en développement et contribue au pillage des ressources génétiques de leurs communautés rurales. Quel est votre commentaire ?
Cet accord a été négocié par les membres eux-mêmes. Si l'un ou plusieurs d'entre eux considèrent que c'est le cas, libre à eux d'en informer le secrétariat de l'OMC afin que ce cas soit porté à l'attention de l'organe de règlement des différends.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi, Amine Sadek et Kamel Moulfi
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