Le professeur Roger Owen à Algeriepatriotique : «L’instauration d’un ordre légitime prend du temps»
Algeriepatriotique : Certains de vos écrits, basés sur un travail de recherche exhaustif, sont axés sur l'exercice du pouvoir au sein de structures politiques autoritaires, au Moyen-Orient notamment. Quelle conclusion avez-vous tiré sur la pratique politique arabe ?
Algeriepatriotique : Certains de vos écrits, basés sur un travail de recherche exhaustif, sont axés sur l'exercice du pouvoir au sein de structures politiques autoritaires, au Moyen-Orient notamment. Quelle conclusion avez-vous tiré sur la pratique politique arabe ?
Professeur Roger Owen : Je relève dans mon nouvel ouvrage intitulé La montée et la chute des présidents arabes à vie qu’au Moyen-Orient, les régimes autoritaires représentaient la norme après l’indépendance, en raison du besoin que ces pays ressentaient pour l’unité, le développement économique, la construction de la nation et la souveraineté nationale. Tous ces éléments étaient perçus comme étant menacés aussi bien par des sources internes qu’externes.
Les derniers événements qui ont eu lieu dans le monde arabe ont-ils donné naissance à un nouvel ordre social pérenne ou ne sont-ce que des évènements ponctuels et éphémères ?
Au même titre que toutes les véritables révolutions qui impliquent le renversement de l’ordre politique précédent, l’instauration d’un nouvel ordre considéré comme légitime par la majorité du peuple prend du temps ; cela demande parfois des années. S’agissant du printemps arabe, tel qu’il s’est déroulé en Afrique du Nord, il est encore trop tôt pour en juger.
La crise politique en Egypte et en Tunisie ainsi que le basculement de ces deux pays dans la répression et la violence indiquent une forte opposition populaire aux régimes issus des «printemps arabes», lesquels semblent être des copies conformes des précédents. Pourquoi les régimes arabes, avant et après les soulèvements populaires, peinent-ils à fédérer les citoyens qui rejettent le pouvoir, ou plutôt les pouvoirs ?
Le problème, à mon sens, est que les révolutions nécessitent de nouvelles Constitutions et de nouvelles Constitutions appellent des assemblées constitutionnelles élues. Or, ces dernières, dans le cas particulier de l’Afrique du Nord, sont dominées par les mouvements religieux, liant étroitement le débat politique aux questions relatives à la religion et aux droits de l’Homme. Mais c’est une étape passagère.
A cette crise politique s'ajoute une situation économique désastreuse qui accentue le mécontentement général des populations. Quelles sont, selon vous, les mesures adéquates que doivent adopter, à court terme, l'Egypte et la Tunisie pour sauver leur pays de la faillite ?
La réponse évidente est qu’il faut retourner aux plans à court et à long termes, à l’image de ceux qui étaient en vigueur dans le monde arabe dans les années 1950 et 1960. Mais étant donné que le néo-libéralisme s’est autant implanté parmi les élites arabes qu’aux Etats-Unis, la seule réponse valable à ce moment-là fut les crédits octroyés par le Fonds monétaire international et les riches monarchies pétrolières du Golfe.
Contrairement à l'Egypte, la Tunisie et la Libye, la Syrie d'Al-Assad résiste en dépit de l'aide des puissances occidentales, du Qatar et de l'Arabie Saoudite aux insurgés. Qu’est-ce qui explique cette différence ? Pourquoi Bachar Al-Assad et son régime ne sont-ils pas tombés ?
Le régime bâti par le père de Bachar Al-Assad était institutionnellement robuste et était basé sur un solide sens de nationalisme syrien qui avait transcendé les divisions sectaires. Aussi continue-t-il d’avoir la mainmise sur d’importantes ressources, dont l’armement russe qui fait que les rebelles ne peuvent pas rivaliser (avec le régime en place, ndlr).
Après les deux raids aériens israéliens contre la Syrie, Israël dit être prêt à attaquer la Syrie encore une fois. Pensez-vous que l’Etat hébreu s’impliquera réellement dans le conflit syrien ?
La réponse à cette question est simple : non. Mais Israël gardera certainement un œil «aérien» ouvert sur les sites syriens qui pourraient contenir des missiles de moyenne portée ou des armes de destruction massive.
L’immense majorité des Algériens est convaincue que la vague du «printemps arabe» qui a touché les pays voisins ne touchera pas l'Algérie. Les Algériens ont-ils raison ? Si oui, pourquoi l'Algérie ferait-elle exception ?
L’Algérie semble être une exception pour trois raisons essentielles : elle a souffert de deux longues guerres, dont une civile, le peuple algérien jouit d’une certaine liberté de manifester et d’affirmer ses revendications, et les généraux qui dirigent le pays sont déterminés à préserver leur propre pouvoir à tout prix.
Le verdict du professeur d'histoire à l’université de Harvard, Niall Ferguson, est sans appel. Pour lui, «aucune démocratie ne marchera dans le monde arabe». Etes-vous du même avis ? Pourquoi ?
Une telle assertion est stupide. Bien que la démocratie se soit révélée un système difficile à mettre en place en dehors de l'Europe et de l'Amérique du Nord, plusieurs pays arabes ont pratiqué des élections contestées et une certaine forme de responsabilité ministérielle pour des périodes assez longues dans les temps modernes. Il convient également de reconnaître les nombreuses imperfections dans les démocraties occidentales, dues au rôle de l'argent.
Les puissances mondiales s'octroient le droit d’envahir des pays, à l'instar de l'Afghanistan, de l'Irak et de la Libye, au nom des droits de l’Homme. Y aura-t-il, un jour, un «printemps occidental», sachant que les peuples dans cette partie développée du monde se sentent pris au piège d’un système dit démocratique mais qui offre à la puissance financière, au pouvoir de l’argent, la clé de sa propre servitude ?
Il est pratiquement impossible de répondre à cette question. A mon avis, cela dépend en fait de l’âge et du degré d’optimisme et de pessimisme de chacun.
Bien des chefs d’Etat en Occident sont élus à une différence minuscule, qui ne dépasse pas parfois quelques dizaines de milliers de voix dans des pays qui comptent plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de millions d’habitants. Est-il juste qu’un président soit élu alors qu’il est rejeté par la moitié du peuple ? Le système politique occidental est-il réellement le meilleur ?
Je me réfère à Winston Churchill qui déclarait que la démocratie n’est pas parfaite mais qu’elle moins imparfaite que toutes ses rivales. Pour faire en sorte que la démocratie fonctionne d’une meilleure façon, ce qu’il faut c’est un système qui garantisse des élections régulières, une responsabilisation du citoyen et, par-dessus tout, un discours libre pour faire en sorte que les actions réalisées soient toujours sujettes à la critique et à de possibles modifications. Je crains que «l’équité» ne soit pas d’une grande utilité, hormis dans le cas où une majorité du peuple croit qu’une pratique ou une autre sont manifestement injustes.
Les citoyens en Occident votent de moins en moins, marquant une dichotomie entre gouvernants et gouvernés, notamment en ces temps de grave crise économique. Le modèle politique occidental est-il appelé à changer ?
Je continue de croire que la raison principale qui fait que les gens ne votent nulle part à travers le monde, c’est le fait qu’ils ne croient pas que leur vote compte. Et, souvent, leur vote ne compte effectivement pas. Par le passé, les progressistes espéraient qu’une bonne éducation allait aider les gens à comprendre l’importance du vote. Je pense, personnellement, que le meilleur moyen d’assurer une participation élevée (aux élections), c’est de juger l’action du gouvernement en place en l’opposant aux alternatives proposées. En d’autres termes, les élections doivent impliquer une rotation constante des partis au pouvoir.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
Lire l'interview du Pr Owen en anglais
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