Enfin, on sait ce que c’est que la corruption
La réunion est programmée depuis un mois. On a pu enfin rassembler la commission autour de la table. Ordre du jour : la corruption.
Le président de séance : Vous savez pourquoi nous sommes là.
Hon ! Hon ! Tout le monde hoche la tête.
La réunion est programmée depuis un mois. On a pu enfin rassembler la commission autour de la table. Ordre du jour : la corruption.
Le président de séance : Vous savez pourquoi nous sommes là.
Hon ! Hon ! Tout le monde hoche la tête.
Il poursuit : Notre pays est miné. Il se délite et va en java. Trop d’argent se transmet de la main à la main, de la main à la poche et de la poche à l’armoire. Tout le monde met la main à la pâte. A ce rythme, nous n’aurons plus d’argent ni en banque ni en circulation. Des milliards de dinars manquent dans le circuit financier. Il faut mettre fin à cela.
Le banquier : Des chaînes se forment déjà à nos guichets.
Le député : La commission de l’Assemblée a enregistré 6 132 cas de corruption cette année. C’est intenable.
L’économiste : Messieurs, il convient d’abord de définir ce qu’est la corruption.
Le sociologue : La corruption c’est donner ou recevoir un «pot-de-vin».
Le député : Je proteste. Le mot pot-de-vin est inacceptable. Le Coran interdit le vin. Trouvez un autre mot.
Le président : Allons ! Nous n’allons pas nous bloquer sur l’épistémologie.
Le député : C’est quoi ça, le pipitémologie.
On ne lui répond pas. Tous le regardent,
L’économiste : Parlons de «bakchich», c’est le langage du peuple.
Le DGSN : Pas question. C’est un mot oriental. Il ne convient pas.
Tous se regardent.
Le banquier : Je propose «dessous de table».
Le député : Pas question. Dessous de table suppose une petite somme. On peut donner de l’argent sans table.
Le douanier : Retenons alors «graisser la patte».
L’économiste : C’est restreint. On graisse la patte aux petits fonctionnaires. Ça ne convient pas pour les hauts responsables.
Le sociologue : J’ai trouvé. Utilisons «arroser», cela suppose beaucoup et partout !
Le député : Ce n’est pas précis. En plus, on risque de contrarier les pompiers.
Le sociologue : Si on adoptait «errachoua». C’est un mot de chez nous.
Le député : La Banque mondiale refusera. Il n’est pas dans leur dictionnaire.
L’Economiste : Au sens universel, le fait de recevoir un bien matériel sans contre-partie est illégal et illicite. C’est une rachoua. J’insiste.
Le député : Je ne suis pas d’accord. Quand mon douar m’offre un mouton, je suis obligé de l’accepter. C’est dans les traditions.
Le sociologue : Donc, tu manges ?
Le député : C’est mon affaire.
Le sociologue : On prétend aussi que nombreux sont les députés qui mangent.
Le député : C’est leur affaire.
Le sociologue : Mais avouez que l’Assemblée ne dit rien.
Le député : C’est notre affaire.
Le sociologue : Echbi ra…k ! Tu nous bloques, y a si l’député !
Le président : Allons ! Allons ! Du calme. Je propose de constituer une sous-commission qui se chargera de trouver un mot satisfaisant. La séance est levée.
Je ne finirai pas sans ce petit mot d’un corrompu :
«Mes petits besoins augmentent chaque jour du fait de mon mariage et je n’arrive pas à satisfaire mon épouse. Quelle triste obligation d’arrêter tous mes désirs alors qu’une rachoua permet l’aisance dans mes bourses».
Abderrahmane Zakad, urbaniste et romancier, Alger
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