L’instructeur à West Point Geoff D. Porter à Algeriepatriotique : «La CIA n’a pas autant de pouvoir»
Algeriepatriotique : Washington offre 10 millions de dollars pour la capture du terroriste Mokhtar Belmokhtar. Pourtant, tout le monde sait que la mort d’un chef terroriste donne toujours lieu à l’avènement d’un nouveau chef encore plus radical que son prédécesseur. Pourquoi les Etats-Unis persistent-ils dans ces méthodes contre-productives, selon vous ? Par manque d’alternatives ?
Algeriepatriotique : Washington offre 10 millions de dollars pour la capture du terroriste Mokhtar Belmokhtar. Pourtant, tout le monde sait que la mort d’un chef terroriste donne toujours lieu à l’avènement d’un nouveau chef encore plus radical que son prédécesseur. Pourquoi les Etats-Unis persistent-ils dans ces méthodes contre-productives, selon vous ? Par manque d’alternatives ?
Geoff D. Porter : Les Etats-Unis reconnaissent que le fait de couper la tête d’un serpent ne tue pas toujours le serpent. Parfois, de nouvelles têtes repoussent avec un venin autrement plus fulgurant. Cependant, les Etats-Unis poursuivent cette stratégie pour plusieurs raisons. D’abord, il est important de reconnaître que cette méthode n’est pas utilisée de façon isolée, mais elle est conjuguée avec une série d’autres approches dans la lutte antiterroriste. C’est une solution parmi de nombreuses autres dans la lutte contre le terrorisme, lesquelles intègrent également une réponse aux conditions qui ont permis au terrorisme de se développer. Ensuite, bien que l’idéal pour les Etats-Unis soit de pouvoir juger les chefs terroristes pour leurs crimes dans un tribunal, cela n’est pas toujours possible. Mais la nécessité de juger les responsables demeure entière.
L’attaque terroriste du site gazier de Tiguentourine a confirmé la nécessité impérieuse d’unir les efforts pour lutter contre le terrorisme transnational. Une réunion est prévue à Oran, dans l’ouest algérien, bientôt. Quels sont les moyens à mettre en œuvre pour garantir une lutte efficace contre les groupes extrémistes armés ?
Un des plus importants pas que les participants à la prochaine réunion d’Oran doivent faire, c’est de déterminer comment équilibrer entre les besoins d’une réponse régionale coordonnée pour contrer le terrorisme transnational et la nécessité de sauvegarder la souveraineté d’une nation, de rester fidèle à ses principes et de protéger ses intérêts nationaux. L’équation n’est pas toujours facile – parfois, des pays pourraient sentir que leur participation à la lutte contre le terrorisme transnational dans un cadre régional pourrait porter atteinte à leur souveraineté. Il existe d’autres exemples où une approche régionale de la lutte antiterroriste pourrait mettre leur souveraineté en péril. Un autre élément peut assurer le succès à une riposte régionale, à savoir un degré de confiance élevé entre les pays par rapport à leur engagement permanent pour une approche régionale. Par exemple, l’Algérie ne pourrait pas s’engager dans le cadre d’une lutte aux côtés de ses voisins si elle sent que ses partenaires pourraient abandonner ce cadre régional.
En parlant des groupes armés, on constate un éclatement de la nébuleuse terroriste en plusieurs entités nouvelles, dont la plupart sont issues d’Al-Qaïda. Comment expliquez-vous cette atomisation de la mouvance djihadiste ? Est-ce dû à des désaccords en son sein ou est-ce une stratégie pour rendre la lutte antiterroriste plus difficile ?
L’éclatement d’Al-Qaïda ou la prolifération d’organisations affiliées à cette dernière n’est pas imputable à une seule et unique cause. D’une part, les stratèges d’Al-Qaïda ont plaidé pour la décentralisation de l’organisation dans le but de gagner en efficacité, en l’autorisant à opérer avec une relative autonomie dans plus de zones à travers le monde qu’elle n’aurait pu atteindre autrement, et, aussi, pour rendre difficile de la combattre en créant une multitude de cibles antiterroristes potentielles. De l’autre, une partie de la fracture de cette organisation terroriste est le résultat des conflits et des guerres intestines en son sein. L’exemple en est le récent désaccord entre le chef d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), Abdelmalek Droudkel, et Mokhtar Belmokhtar, au Mali. Belmokhtar est en désaccord avec Droudkel. Ce dernier semble avoir voulu essayer de garder Belmokhtar dans le giron d’Aqmi, mais Belmokhtar a voulu créer sa propre organisation indépendante. Donc, il y a au moins deux dynamiques derrière l’atomisation du mouvement djihadiste : une stratégie délibérée et un manque de cohésion au sein de l’organisation.
Les Etats-Unis et les Nations unies, dans le sillage des appels incessants de l’Algérie, sont unanimes à dénoncer le paiement des rançons aux terroristes. Pourtant, plusieurs pays européens continent à céder au chantage des groupes armés pour libérer leurs otages. Cette duplicité de langage chez les Européens ne constitue-t-elle pas une des raisons essentielles de la longévité du terrorisme qui paraît imbattable ?
Le paiement des rançons est certainement une des raisons qui ont fait que les groupes terroristes activant au Sahara ont été capables d’acquérir un armement sophistiqué et un équipement qui leur a permis de résister face à l’intervention militaire française au Nord-Mali et de mener des actions meurtrières en Algérie et au Niger. Il n’y a pas de doute que les pays ne doivent pas payer des rançons aux terroristes pour sécuriser la libération d’otages. Néanmoins, les groupes terroristes qui sévissent au Sahara ont également recours à d’autres sources de revenus, telles que la drogue et la contrebande. Eliminer le paiement des rançons est important en ce sens qu’il réduira les sources de financement des groupes terroristes, mais il est possible que ces groupes augmentent simplement les autres activités illégales.
L’ambassadeur américain Robert Ford a joué un rôle néfaste en Algérie durant les années 1990. De nombreuses sources indiquent, en effet, que son bureau était constamment ouvert aux islamistes du FIS dont il semblerait qu’il ait soutenu la ligne politique. Le même Ford a joué un rôle nocif en Syrie où des extrémistes d’Al-Qaïda ont récupéré l’insurrection armée contre Damas et promettent d’instaurer un régime théocratique. Pourquoi un ambassadeur des Etats-Unis soutient-il les islamistes que Washington combat en Afghanistan, au Pakistan et ailleurs ?
Je ne sais pas assez sur les activités de l’ambassadeur Robert Ford en Algérie dans les années 1990, ou en Syrie récemment, pour pouvoir répondre correctement à votre question. Je suis sûr, en revanche, que l’ambassadeur Ford n’a jamais rencontré des djihadistes liés à Al-Qaïda.
Un officier algérien de haut rang a déclaré à un grand journal américain, à la veille du déclenchement de la guerre contre l’Irak, en 2003, que si la première guerre du Golfe a donné naissance à Oussama Ben Laden, une seconde enfanterait des milliers de Ben Laden. Cette analyse s’est confirmée. Pourquoi les Etats-Unis ont-ils envahi l’Irak ?
Comme cela a été rapporté par de nombreux journaux, l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis a été décidée sur la base de faux renseignements. La polémique bat son plein aux Etats-Unis sur la question de savoir si l’administration Bush savait que les renseignements étaient faux et a, malgré cela, procédé à l’invasion de l’Irak, ou si elle a véritablement commis une erreur. Cependant, si nous croyons que les Etats-Unis ont envahi l’Irak pour empêcher Saddam Hussein d’acquérir des armes de destruction massive, alors nous nous pouvons affirmer que l’administration Bush a pu considérer que la menace causée par la présence d’armes de destruction massive eût été plus grande que celle engendrée par les «milliers de Ben Laden». Il est possible aussi que les Etats-Unis aient senti qu’ils étaient capables de gagner la guerre en Irak et vaincre Al-Qaïda en même temps. Ils ont eu tort sur toute la ligne.
Dix ans plus tard, la France et la Grande-Bretagne avancent le même argument de l’utilisation d’armes prohibées pour justifier une intervention militaire étrangère en Syrie. Powell a avoué récemment que les armes de destruction massive en Irak étaient une pure invention des services secrets américains. Pourquoi l’histoire se répète-t-elle avec une telle similitude ?
Les pays recourent souvent à des prétextes pour promouvoir les agendas liés à leur politique étrangère et pour déguiser leurs intentions véritables. Cela n’a rien de nouveau. Il n’est un secret pour personne que le Royaume-Uni et la France sont opposés au gouvernement d’Al-Assad à Damas. Cependant, ces deux pays se battent pour aboutir à un consensus international qui puisse le forcer à quitter le pouvoir. Mais la communauté internationale est généralement opposée à l’utilisation des armes de destruction massive et s’il y a des preuves que la Syrie s’en est servi, alors le Royaume-Uni et la France pourront construire un argument solide contre le régime d’Al-Assad.
La CIA est-elle derrière les derniers soulèvements dans les pays arabes ? Si oui, pour quel but ?
Suggérer que la CIA est derrière les derniers soulèvements qui ont eu lieu dans le monde arabe équivaudrait à prêter à la CIA une influence plus grande qu’elle n’en a réellement. Les soulèvements dans le monde arabe ces trois dernières années sont la conséquence de plusieurs facteurs. La plupart du temps, ces soulèvements ont pris une direction inattendue. En Tunisie, il est probable qu’un gouvernement salafiste prenne le relais. L’Egypte est en train de s’effondrer sous la férule des Frères musulmans. Le gouvernement libyen s’est effondré et le pays est contrôlé par des milices.
Washington s’accommode-t-il malgré lui des gouvernements islamistes qui ont remplacé les régimes dictatoriaux dans certains pays arabes ou a-t-il carrément – secrètement – contribué à les faire accéder au pouvoir ?
Il n’existe aucune preuve que les Etats-Unis auraient aidé les islamistes à prendre le pouvoir après le «printemps arabe». Les Etats-Unis se sont abstenus d’interférer dans les affaires internes des pays après le «printemps arabe». L’avènement de gouvernements islamistes en Egypte et en Tunisie est probablement le reflet du soutien des masses populaires aux islamistes en Egypte et en Tunisie. Ce soutien disparaîtra lorsqu’il apparaîtra clairement que le programme des islamistes est déficient.
L’intervention militaire en Libye a permis aux terroristes de choisir le sud de ce pays comme base de repli et de recueil pour mener des attaques comme la dernière action qui a touché le Niger. L’Otan n’envisage-t-elle pas d’agir dans cette région ?
Il y a eu des discussions au sein de l’Otan dans le but de fournir une formation sécuritaire supplémentaire à la Libye en réponse à une demande formulée par le Premier ministre libyen Ali Zeidan. A ma connaissance, la question relative à une intervention directe de l’Otan dans le sud de la Libye pour y assurer la sécurité n’a pas été abordée. Le problème, néanmoins, réside dans le fait que la Libye ne peut pas garantir la sécurité sur son territoire et n’a pas la capacité de mobiliser des patrouilles le long de ses frontières. L’émergence du sud libyen comme base arrière pour les terroristes est la conséquence de l’intervention militaire française au Nord-Mali et de la campagne de l’Otan qui l’a précédée en Libye.
L’Algérie est considérée par Washington comme l’allié stratégique par excellence dans la lutte contre le terrorisme. Pourquoi les Etats-Unis ont-ils attendu plus de vingt ans pour considérer que ce qui s’est passé en Algérie dans les années 1990 n’était pas une guerre civile mais une guerre contre le terrorisme islamiste ?
Comme l’ont démontré les événements du 11 septembre, les Etats-Unis ont été longs à reconnaître la menace que représentait le terrorisme islamiste, non seulement en Algérie, mais partout ailleurs. La politique étrangère de l’administration américaine dans les années 1990 n’était pas concentrée sur l’Afrique du Nord. Elle se focalisait sur l’éclatement de l’Union soviétique et la chute du bloc de l’Est. Elle s’intéressait également à l’Irak durant la première guerre du Golfe. L’Afrique du Nord n’était pas une zone d’intérêt comme elle l’est maintenant.
Jusqu’où peuvent aller les Etats-Unis dans leur coopération militaire avec l’Algérie, sachant que cette dernière est sinon le plus grand du moins un des plus importants clients de la Russie en matière d’armement ?
Les Etats-Unis poursuivront probablement leur coopération avec l’Algérie tant que la coopération concordera avec les intérêts stratégiques et tactiques des deux pays, en dépit des relations que l’Algérie pourrait entretenir avec d’autres partenaires. Bien que la Russie soit un fournisseur d’armes pour l’Algérie, elle n’a pas fait montre d’un quelconque intérêt politique en Afrique du Nord et au Sahara. L’indice réel de relations bilatérales solides ne réside pas dans le fait de s’approvisionner auprès d’un pays donné, mais dans les intérêts et les objectifs communs à d’autres Etats.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi et M. Aït Amara
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