L’armée va-t-elle prendre sa revanche sur Erdogan ?
Les événements en Turquie se précipitent. Le vice-Premier ministre Bülent Arinç vient juste de menacer de recourir à l'armée contre les manifestants à Istanbul et dans toute la Turquie. Il confirme ce qu’avait annoncé le ministre de l'Intérieur turc, Muammer Güler, qui avait affirmé que toute manifestation serait réprimée. On le voit, le ton monte et rien ne semble calmer les deux camps (pouvoir et opposants). Il fallait être un bon analyste ou prévisionniste pour comprendre dès le début du mouvement de révolte en Turquie qu’il s’agit d’un grand tournant visant à donner un coup d’arrêt à la tentative d’Erdogan de changer radicalement le visage de ce pays, en portant atteinte particulièrement au principe de laïcité, inscrit dans la Constitution. Les dirigeants islamistes commencent à se rendre compte qu’ils sont face à un pays qui entame une résistance contre leur projet. Dans cette situation, une série de questions se posent : jusqu'où ira Erdogan pour mater une contestation qui ne met pas en mouvement une minorité mais la moitié du pays, constituée par la fraction active et instruite de la population, en gros les couches moyennes, enseignants, étudiants, cadres et médecins mais aussi les travailleurs, soit des millions de personnes, jeunes et vieux, femmes et hommes ? Cette Turquie ne veut pas d’un tuteur nommé Erdogan qui leur dicterait leur comportement quotidien. Et si la situation s'envenimait davantage, quelle sera la position des pays de l'Europe de l'Ouest qui ont montré des signes d’agacement face à cet allié aux allures archaïques mal cachées par un masque moderniste ? Il ne faut pas oublier que si la Turquie est candidate à l'adhésion à l'Union européenne, c’est grâce à son côté laïque alors que la dimension islamiste constitue au contraire un obstacle à cette démarche. C’est ce clivage laïque-islamiste qui détermine les positions des uns et des autres vis-à-vis du soutien apporté par le régime turc à la rébellion syrienne. Il ne fait pas de doute que l’affaiblissement d’Erdogan et de son pouvoir sonneront le glas de l'opposition armée en Syrie. Enfin, la grande question concerne l’armée. Acceptera-t-elle comme le laisse entendre le vice-Premier ministre de participer à la répression d’un mouvement dont la légitimité est tirée de l’histoire de ce pays ? On se rappelle de ses démêlés graves avec le pouvoir islamiste d'Erdogan qui a mis en accusation des dizaines d’officiers dont des généraux, jugés sous divers prétextes depuis 2010. En fait, il semble bien que l’évolution des événements dépendra de ce que décidera l’armée turque.
Karim Bouali
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