Le grand problème, c’est d’être femme en Algérie
Une femme appelle au secours. Elle est pauvre, isolée et demande de l’aide. A ma manière, je vous expose le cas d’Amel, 34 ans, mère de deux enfants en bas âge, qui a écrit récemment une lettre au Premier ministre, parue dans un quotidien national.
Petit problème : mon mari, maçon, est invalide (insuffisance rénale). Trois dialyses par semaine.
Petit problème : mon mari détenteur d’une carte d’invalidité ne bénéficie pas de sa pension.
Petit problème : je vis dans une baraque d’un bidonville à Aïn Zeboudja, au Télémly, en plein centre d’Alger, à quelques tires d’ailes de la Présidence et du Palais du gouvernement. De ma baraque en ruine, je peux entrevoir votre bureau.
Petit problème : 2004, j’ai déposé une demande logement à l’APC d’El-Biar. Pas de réponse.
Petit problème : 2008, l’APC m’a recensée et on m’a promis d’étudier mon cas. Sans suite.
Petit problème : la tempête et les inondations du 21 mai 2013 ont détruit ma baraque.
Petit problème : j’ai dégagé mon mari de dessous les décombres. J’ai perdu mes papiers.
Petit problème : l’APC est encore venu me recenser. Je ne peux rien justifier. Documents perdus.
Petit problème : le vice-président APC est venu et a promis de me reloger. J’attends. Je doute.
Petit problème : le 26 mai, à l’APC d’El-Biar on me dit que mon dossier a été transmis à la daïra.
Petit problème : à la daïra, on me dit qu’ils n’ont rien reçu.
Petit problème : actuellement, mes enfants sont éparpillés, mon mari vit dans le véhicule d’un ami.
Petit problème : ma fille est suivie psychologiquement 3 fois par semaine à l’hôpital de Birtraria.
Petit problème : on embellit Alger, les devantures brillent, les rires sont sur les terrasses de café.
Petit problème : je me morfonds et j’ai honte de lancer cet appel «au secours».
Que de petits problèmes ! Et le grand problème c’est … d’être femme en Algérie, pays réputé riche. Comme les petits ruisseaux font de grandes rivières, les petits problèmes font un grand désespoir. Voilà exposé le cas d’Amel, dormons tranquille et occupons-nous d’autre chose ! Cette femme, on ne la connaît pas, on ne la voit pas mais elle existe comme beaucoup d’autres. Que peut faire une femme seule, soumise à l’indifférence d’une administration insensible. Miroir de la douleur, notre miroir. Vous êtes-vous imaginés une femme seule, deux enfants en bas âge, un mari malade, irrécupérable, vivant dans une baraque. Quel avenir pour elle et ses deux enfants ? Oui, me diriez-vous, il ne fallait pas les faire. Oui, bien sûr, mais ils sont là. L’éternelle, l’impérissable révolte d’une femme contre le destin mais pas de responsable, personne à insulter, à frapper, à maudire, à juger. Devrons-nous nous taire dans une belle sérénité qui procure la parfaite tranquillité de conscience. Que pouvons-nous faire ? C’est là le commencement d’un livre concernant notre société. Ecrivons-le.
Abderrahmane Zakad, urbaniste
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