Mezri Haddad : «L’armée ne laissera pas les forces réactionnaires détruire ce qui reste de la République»
Algeriepatriotique : Six mois après l'assassinat de l'opposant Chokri Belaïd, le député de l'opposition Mohamed Brahmi subit le même sort. Comment évaluez-vous la situation en Tunisie après ce deuxième assassinat politique ?
Algeriepatriotique : Six mois après l'assassinat de l'opposant Chokri Belaïd, le député de l'opposition Mohamed Brahmi subit le même sort. Comment évaluez-vous la situation en Tunisie après ce deuxième assassinat politique ?
Mezri Haddad : Dans ma dernière interview en février dernier au sujet de l’assassinat de Chokri Belaïd, je vous ai dit que ce meurtre politique est dans l’ordre logique des événements depuis la déstabilisation de la Tunisie il y a deux ans, que ce n’est qu’un début, et que le pire est à craindre. Même si, politiquement, tactiquement et stratégiquement, l’assassinat de Mohamed Brahmi n’est pas dans l’intérêt d’Ennahda aujourd’hui, compte tenu du retournement de situation en Egypte, ce mouvement en assume l’entière responsabilité avec ses deux béquilles : le CPR de Moncef Marzouki et Ettakatol de Mustapha Ben Jaâfar. En moins de deux ans, cette trinité maléfique a sapé les fondements d’un Etat moderne et respectable que le génie de Bourguiba a constitué. Elle a piétiné la souveraineté chèrement acquise depuis 1956 et jalousement conservée par Bourguiba et Ben Ali. Elle a exposé le pays au terrorisme et à l’insécurité, en transformant nos frontières en passoire et en libérant 25 000 criminels, dont une bonne partie de multirécidivistes qui ne jurent que par Al-Qaïda. Elle a ruiné l’économie d’un pays qui était prospère et qui était plus saine que l’économie grecque, chypriote, espagnole et portugaise, pour ne citer que ces pays dopés par l’Union européenne. Par son laxisme et son opportunisme, l’opposition a contribué à cette destruction programmatique. La situation est explosive et le pire est à venir.
Dans une interview accordée au journal Le Monde, suite à l'assassinat de l'opposant Brahmi, lequel a donné lieu à des débordements dans quelques villes de la Tunisie, le président tunisien Moncef Marzouki a déclaré que la paix civile régnait en Tunisie, que le dialogue était permanent pour une transition démocratique prochaine. Vous en pensez quoi ?
Je pense que ce monsieur doit se faire soigner. Déjà fragile psychologiquement, sa désignation par Rached Ghannouchi à la présidence a fini par le déboussoler. Il a clochardisé la fonction présidentielle et annihilé ce qui restait du prestige de l’Etat. De toute son histoire, la Tunisie n’a jamais été aussi instable et menacée, aussi bien par des mercenaires à l’intérieur du pays que par les islamo-terroristes d’Al-Qaïda sur nos frontières avec la Libye. Comment peut-il avoir l’insolence et l’indécence de parler de paix civile alors qu’un élu vient de se faire descendre en plein jour, que des hordes fanatisées sillonnent le pays et que des armes circulent partout en Tunisie ? Quant au journal qui l’a interviewé, mieux vaut ne pas en parler. Depuis le «qui tue qui en Algérie», l’agenda politique de ce journal est bien connu. C’était l’époque de l’extermination de l’élite algérienne : Mahfoud Boucebci, Mohamed Boukhobza, Tahar Djaout, Djilali Liabès, Ahmed Asselah, Smaïl Yefsah, Abdelkader Alloula… et bien d’autres valeureux intellectuels et vaillants patriotes. Avec l’assassinat de Chokri Belaïd impuni jusqu’à ce jour, et celui de Mohamed Brahmi, un long et tragique processus est enclenché.
Des voix s'élèvent parmi le peuple tunisien pour la destitution d'Ennahda. L'armée tunisienne se pliera-t-elle à la volonté du peuple, comme cela a été vécu en Egypte ?
Ce n’est pas uniquement Ennahda qui doit être destitué mais aussi le CPR et Ettakatol, deux partis satellisés qui ont fait autant de mal à la Tunisie. Même si le noyautage du ministère de l’Intérieur est largement entamé, les islamistes n’ont pas eu le temps de purger totalement l’armée nationale. Celle-ci compte encore en son sein de hauts officiers qui ne laisseront pas les forces réactionnaires et antipatriotiques – et je ne parle pas uniquement des islamistes – détruire ce qui reste de la République. L’armée égyptienne a retrouvé son âme nassérienne, notre armée retrouvera son âme bourguibienne.
Pourquoi n’avez-vous pas réagi au procès que vous a intenté le président Marzouki qui vous accuse, ainsi qu’une autre personnalité tunisienne, de complot contre la sécurité de l’Etat ?
S’agissant de la plainte déposée contre moi et contre Tahar Ben Hassine, je n’en tire ni gloire ni inquiétude. Je me suis abstenu de toute communication et surexploitation politique de cette affaire parce que les problèmes de la Tunisie sont bien plus graves et plus urgents que cette plainte tragi-comique. Cette plainte fait suite à mon «Appel en 7 points» du 13 juin 2012, que j’assume entièrement, et que certaines figures de la classe politique viennent de prendre au sérieux. Moncef Marzouki peut agiter la menace judiciaire, mais il risque d’être traduit devant la justice pour haute trahison bien avant mon interrogatoire par le procureur de la République en septembre prochain. Qu’il médite bien le syndrome Morsi.
Comment voyez-vous la sortie de crise en Tunisie ? Connaître le même sort que l’Algérie au début des années 1990 n’est pas une fatalité…
Non, ce n’est bien évidemment pas une fatalité, mais si rien n’est fait pour stopper immédiatement cette décadence vertigineuse de la Tunisie, mon pays risque de connaître des jours encore plus sombres que l’épreuve algérienne. La sortie de crise, je ne la vois que dans mon «Appel en 7 points» précisément. Celui-ci semble avoir été entendu en Egypte mais pas en Tunisie. Du moins jusqu’à hier, à la suite de l’assassinat de Mohamed Brahmi. J’ai entendu hier Hamma Hammami, Ahmed-Néjib Chebbi et d’autres acteurs de la scène politique exiger les mêmes revendications que j’ai exprimées dans mon appel il y a une année. C’est une prise de conscience qui me réjouit. Mieux vaut tard que jamais. En d’autres termes, l’Assemblée constituante qui, à l’exception d’une dizaine de personnes, est un ramassis d’opportunistes, d’incompétents et d’incultes, doit être dissoute, et ses membres doivent rembourser le trop-perçu depuis la fin de leur légitimité le 23 octobre dernier. La Constitution bourguibienne de 1959 doit être rétablie. Un gouvernement de coalition nationale doit être constitué pour gérer les affaires de l’Etat dans les six mois qui viennent en attendant des élections législatives et présidentielles. Une personnalité en dehors et au-dessus des partis politiques doit assurer les fonctions présidentielles en attendant ces élections. Telles sont les mesures politiques urgentes à prendre, par-delà les mesures sécuritaires qui doivent éradiquer de façon impitoyable toutes les organisations islamo-terroristes que le gouvernement actuel a laissé se métastaser.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
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