Le général à la retraite Khaled Nezzar : «Ce que j’ai dit au FIS avant les élections législatives de 1991»
L’arrêt du processus électoral en janvier 1992 en Algérie revient au-devant de la scène, à la faveur du retournement de situation dans les pays dits du «printemps arabe». Les révélations se succèdent. Après les informations fournies par l’ancien chef de l’AIS, Madani Mezrag, dans une interview-fleuve parue sur les colonnes du journal islamiste Echorouk, c’est au tour de l’ancien ministre des Affaires étrangères sous Chadli, Taleb Ibrahimi, de donner sa version des faits, sur la chaîne Al Jazeera, sur les tractations qui avaient eu lieu à la veille de la décision salvatrice de suspendre le second tour des législatives. Les révélations des deux hommes – ajoutées à celle de l’avocat du FIS, Bachir Mechri, qui dit avoir été sollicité par le président Chadli, par le truchement d’Abdelkader Hadjar, de transmettre un message à Abassi Madani –, se recoupent, même si quelques dissimilitudes dans les faits relatés par l’un et l’autre sont relevées çà et là. Au fond, ce qui importe, c’est de savoir qu’au moment où le ministre de la Défense de l’époque, le général Khaled Nezzar, se démenait pour désamorcer une crise qui allait conduire le pays vers une afghanisation certaine – le contexte de la «victoire» des seigneurs de guerre afghans sur l’ex-URSS et le retour massif des «Afghans algériens» au pays s’y prêtaient –, les responsables politiques s’adonnaient à des pourparlers secrets pour se répartir la récolte d’un processus démocratique dévoyé. Sur ce point, le général Nezzar est catégorique : «A aucun moment l’institution militaire n’avait été tenue au courant de ces tractations qui, pourtant, engageaient l’avenir du pays.» Taleb Ibrahimi – et, avant lui, Madani Mezrag – affirme être entré en contact avec le très controversé beau-frère de Chadli Bendjedid pour lui faire parvenir les desiderata des chefs du FIS, avouant, par la même occasion, toute son admiration pour l’un d’entre eux plus particulièrement, à savoir Abdelkader Hachani (voir interview sur Al Jazeera). Le fondateur du parti Wafa, dont l’agrément lui sera refusé par le ministère de l’Intérieur, rapporte que le FIS voulait céder des sièges au FLN, laisser le poste de Premier ministre au président du FFS, Hocine Aït Ahmed, maintenir Chadli Bendjedid à la présidence de la République et «se contenter» de trois portefeuilles ministériels : l’éducation, la justice et l’action sociale ; les mêmes vecteurs qui seront choisis par Ennahda en Tunisie deux décennies plus tard. Pur hasard ? Sûrement pas. Aux affirmations de Madani Mezrag, Taleb Ibrahimi et d’autres acteurs politiques proches du FIS, du FLN ou du FFS durant cette période charnière de l’histoire récente du pays, qui accusent l’armée d’avoir préfiguré la nouvelle Assemblée, l’ancien ministre de la Défense corrige une «imprécision préméditée» pour faire croire à «quelque coup de force planifié» par les militaires : «A l'époque, notre souci était que toutes les consultations se passent dans le calme. Nous connaissions parfaitement les grands équilibres de la société algérienne. Il n’est jamais venu à l’idée de l’un d’entre nous d’éradiquer telle ou telle obédience, même si l’islamisme politique a été adoubé et vendu aux Algériens par le pouvoir politique d’alors», rectifie le général Khaled Nezzar. «Nous étions respectueux de la hiérarchie des institutions», précise-t-il encore, avant de confier : «J’ai dépêché personnellement le général Betchine – qui est toujours en vie – auprès des membres du conseil consultatif du FIS afin que ces derniers mesurent sagement leurs ambitions et n’envisagent point, par quelque procédé que ce soit, de mettre en danger les grands équilibres de la société algérienne.» L’ancien membre du Haut Comité d’Etat explique la démarche de l’armée : «Selon les informations dont nous disposions à l’époque, le FIS était en droit de s’attendre aux deux tiers des suffrages exprimés. Etant bien entendu que les paramètres inconnus étaient le taux d’abstention et leurs manœuvres pour obtenir davantage que ce que les urnes allaient lui donner. Notre souci était que ceux qui allaient accéder aux responsabilités pour la première fois ne déstabilisent pas la société et ne tombent pas dans les travers du parti unique, le FLN», souligne le général Nezzar. «Notre seul souci, dit-il, était la stabilité du pays et le respect des libertés de tous les Algériens. Nous n'avions à aucun moment planifié quoi que ce soit et, surtout pas, envisagé l’arrêt du processus électoral.» Nezzar corrige l’ancien chef de l’AIS (Armée islamique du salut, bras armé du FIS) : «Quand bien même la déclaration de Madani Mezrag ne rapporte pas la vérité, elle confirme néanmoins que le souci de l'ANP était de voir aboutir des élections transparentes, propres et honnêtes. Ce qui ne fut pas le cas. N’en déplaise à ceux qui ont toujours soutenu la thèse du coup d’Etat, le président Chadli a bel et bien démissionné ainsi qu’il l’a affirmé, confirmé et expliqué maintes fois, à travers tous les médias du monde et écrit dans ses mémoires parus récemment». Le général Nezzar écorche au passage l’ancien secrétaire général du FLN, Abdelaziz Belkhadem : «N’en déplaise à ceux qui ont menti sans vergogne, le mandat de l’APN était lui aussi bel et bien fort clos. J’ai eu l’occasion de le prouver le jour où je me suis exprimé sur ce sujet sur l’antenne d’Ennahar TV.» La mise au point étant faite, les regards du monde sont désormais rivés sur l’Egypte et la Tunisie, deux pays qui sont en passe de vivre le même scénario qu’en Algérie. L’islamisme politique, au début financé et encouragé par les officines occidentales, est maintenant voué aux gémonies.
M. Aït Amara
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