Un mail codé dévoile le véritable auteur des livres contre l’ANP à l’instigation des services marocains et français
En novembre 2002, un confrère reçoit un fax au contenu intriguant. Il le prend, le lit, le relit et essaye de déchiffrer le grimoire, tant le message contenu dans le courrier électronique adressé par un certain François Gèze à un destinataire qu’il ne nomme pas est une suite d’antonomases(1) et d’analepses(2). Le directeur des éditions La Découverte commence sa missive par un constat d’échec : «Nous sommes en train de tourner en rond.»(3) Mais de quoi ce sombre personnage se plaint-il ? Et à qui ? François Gèze, natif de Casablanca, au Maroc, a été chargé par sa hiérarchie, au sein des services secrets, la DGSE française et la DST marocaine, de construire un gros mensonge sur l’armée algérienne pour l’affaiblir dans sa lutte contre le terrorisme islamiste et la punir d’avoir empêché, en janvier 1992, la France de Mitterrand d’y instaurer une économie de bazar en aidant le FIS insidieusement à prendre les rênes du pays aux fins de le couler. Pour ce faire, l’agent Gèze reçoit l’ordre de recruter des «félons» algériens, des soldats renvoyés – pour une raison ou une autre et en colère contre leur hiérarchie – et de leur faire révéler des «secrets gravissimes» sur l’armée algérienne. L’opération est appuyée par les services secrets marocains, «guidés» dans leur action par une personnalité algérienne exilée en Suisse persona grata de l’Internationale socialiste, partie prenante de premier rang dans cette campagne de diabolisation de l’institution militaire algérienne. François Gèze n’a pas eu trop de mal à trouver ses pions. Il lui a suffi de se tourner vers des organisations créées par les services secrets occidentaux et qui activaient déjà dès le lendemain de la mise en échec du plan mitterrandien d’afghanisation de l’indomptable Algérie.
Dans cette Foire’Fouille de traîtres soldés, on retrouve pêle-mêle d’anciens soldats de grades inférieurs, des ex-agents des services des renseignements et un ancien secrétaire d’ambassade à Tripoli aujourd’hui installé à Londres, particulièrement virulent – sans doute le mieux rémunéré. Sur le carnet de Gèze, la liste des noms s’allonge : Souaïdia, Laribi, Chouchène, Tigha, Samraoui, Zitout et d’autres, rameutés par les sergents recruteurs de Rachad, du MAOL et des résidus du FIS à l’étranger. A ceux-là s’ajoute Hichem Aboud, auteur de La mafia des généraux, qui, lors du procès de Paris en juillet 2002, s’était assis à portée d’oreille de Souaïdia. Dans son compte-rendu à son correspondant, François Gèze laisse entendre qu’il est chargé de deux missions : inventer des accusations contre l’armée algérienne et dissuader un groupe d’officiers libres marocains de s’en prendre à la monarchie. «L’affaire sur laquelle nous travaillons avec notre ami de Souissi pour enfoncer le grand Turc d’Alger et le malmener en justice dans un but de dissuasion et de pédagogie en direction aussi de ceux qui, au royaume, sont subjugués et comme aime à le répéter notre ami, fascinés par les golpistes algériens, avance laborieusement aussi bien à Paris qu’à Rabat», explique Gèze, dans un langage en code morse. Ce dernier confirme la collusion entre la DGSE française et la DST marocaine dont le siège se trouve dans le quartier huppé de Souissi à Rabat. Gèze poursuit : «Si nous sommes parvenus pour le moment à les surmonter (les difficultés, ndlr), c’est bien grâce à l’action efficace d’A. André sans le concours duquel le volet médiatique essentiel n’aurait pas pu être exécuté au moment idoine». François Gèze offre une preuve supplémentaire de l’implication des plus hautes autorités marocaines dans la campagne anti-algérienne, téléguidée à partir de Rabat par André Azoulay (A. André), le très influent conseiller du roi. Gèze est dépité. La mission qui lui a été confiée patine. Il explique pourquoi : «Je continue à intervenir souvent directement dans le volet qui m’avait été confié et que je devais uniquement piloter et les progrès sont, en toute bonne foi, bien difficiles à obtenir tant le groupe que j’ai accepté de traiter ici à partir de Paris est à tout point de vue des plus pénibles.»
L’agent traitant parle de cette poignée de néo-harkis appelés à la rescousse d’une France officielle incommodée par l’indépendance excessive de son ancienne colonie. «Après Sifaoui qui s’est retourné contre moi et qui m’a traîné en justice, je m’apprête de nouveau à faire face à une procédure similaire que m’intente un autre de ces félons dont j’ai passé des nuits blanches à corriger les gribouillages pour en faire quelque chose de compréhensible», se plaint-il. Il poursuit, amer : «Ces prétendus officiers libres révoltés par le comportement de leurs chefs à Alger, et dont je me tue à la tâche pour donner quelque cohérence à leurs propos, sont nuls et cupides.» Et de se demander, méfiant : «Il m’arrive souvent de m’interroger si en fin de compte ils ne seraient pas téléguidés par leurs chefs et si, même, ces tordus de Genève qui persistent à nous les recommander ne jouent pas une fonction semblable.»
Le message de Gèze, bien que crypté, permet de remonter le puzzle pièce par pièce. Il met à nu la compromission de tous ces Algériens enrôlés par les services secrets français et marocains pour faire se soulever les Algériens les uns contre les autres. Ce plan de déstabilisation se poursuit à ce jour. La dernière sortie de Hichem Aboud qui porte plainte contre l’Etat algérien via une ONG suisse en est l’illustration parfaite.
Karim Bouali
(1) Remplacement de noms propres par des noms communs et des ensembles de mots complexes.
(2) Retour sur des événements antérieurs.
(3) Lire le message intégral de François Gèze ainsi que le déchiffrage des passages codés.
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