Le miel et l’argent du miel
L’Algérie peut désormais être considérée comme une puissance majeure. Elle le mérite parce qu’elle a eu enfin la preuve d’un scandale majeur : l’affaire Chakib Khelil et Saipem, la société italienne. Dans le monde politique aujourd’hui, c’est plus important que d’avoir la bombe atomique ou de faire décoller un drone. Imaginez ! Presque 200 millions de dollars, soit de 2 000 milliards de dinars de bakchich pour une seule affaire ! «Maye goulha ghir el-fem», aurait dit ma grand-mère. Aucun pays désireux de jouer un rôle décisif dans les affaires internationales ne peut avoir d’influence sans un scandale de première classe. La France l’a découvert avec les vedettes livrées à Taïwan et le Rainbow Warrior. L’Italie l’a appris quand a éclaté l’affaire Bucetta et dernièrement celle de Berlusconi. Les Etats-Unis ont déglingué le monde avec l’affaire des subprimes. La Russie a mis sur pied un programme d’urgence pour rattraper l’Ouest dans les scandales et Poutine prédit qu’il aura lui aussi un scandale monstre avec Gazprom. La Chine, le Japon et la Corée du Sud sont en retard mais comptent dévoiler leurs scandales algériens avec l’autoroute Est-Ouest, les villes nouvelles et les grands projets. «Là où il y a beaucoup d’argent, il y a nécessairement beaucoup de bakchich», dit le proverbe. N’est-il pas vrai également que lorsqu’on travaille dans le miel, on y goutte ! Le malheur, c’est qu’on a beaucoup de miel et on y goutte à coup de cuillerées ! Le scandale Khalifa Banque a permis à l’Algérie de décoller et d’être considérée dans le concert des nations mais le scandale Saipem a consolidé sa réputation, grâce à Chakib Khelil. Lorsque le ministre de la Justice a annoncé que tout sera entrepris pour tirer au clair toutes ces affaires, le pays est devenu fou. Les banques ont fermé leurs portes, les écoles aussi et tout le monde a envahi les rues en s’embrassant et en se tapant dans le dos : «Enfin, on va être un grand pays !» Les hommes se sont massés devant les marchands de journaux et les femmes ont reçu l’ordre de leurs maris de rester devant la télévision, dans l’espoir que quelques détails seraient diffusés.
– Nous sommes à la Une de tous les journaux du monde, cria un homme et la foule poussa des vivas.
– Nous demandons de faire partie du Conseil de sécurité et avoir le droit de veto aux Nations unies ! cria un autre.
A la Bourse de New York ainsi qu’à celle de Londres, le dinar algérien a cessé d’être méprisé. Il est maintenant coté et les Algériens peuvent maintenant lever la tête. Ils ne se tenaient plus de joie. Certains riaient, d’autres pleuraient de bonheur. Des télégrammes de félicitations affluèrent du monde entier. Un chef d’Etat africain a écrit sur Twitter : «Dieu soit loué que l’Algérie ait eu cela avant le Nigeria. Bravo.» Mais après le délire des premiers jours, les Algériens reprirent leur sérieux.
Le porte-parole du gouvernement a déclaré :
– Après l’affaire Khalifa, nous sommes confrontés à cette nouvelle affaire Saipem. C’est une grande responsabilité que d’avoir de tels scandales. Hélas !, quelquefois un mal peut être un bien, nous voilà maintenant dans la cour des grands ! Après un arrêt dû à l’émotion, il ajouta : «Nous ne savons pas encore quelle serait l’importance de ces scandales et par conséquent nous ne pouvons pas dire dans quelle mesure l’Algérie aura sa place dans la cour des grands. Naturellement, nous nous réjouissons que toutes ces affaires soient éclaircies et nous faisons tout pour que tous les scandales soient portés à la connaissance du peuple et de la communauté internationale. Les enquêtes sont en cours et il faut s’attendre à d’autres révélations. Il faut bien, un jour ou l’autre, que nous allions fouiller du côté des prêts non remboursés depuis 1962, du sendouk ettadhamoun et savoir ce qu’est devenu le trésor du FLN.
Aouah ! Y a que Colombo assisté de l’inspecteur Tahar qui pourront dépatouiller ces affaires.»
Abderrahmane Zakad, urbaniste et romancier
Comment (3)