Egypte : la décapitation de l’hydre
Lorsque le 30 juin dernier, plus de trente millions d’Egyptiens ont massivement investi les principaux espaces publics du pays, pour exiger la destitution du président Morsi, ils savaient, pour la plupart, que celui-ci n’était que l’arbre qui cachait la forêt. Peu, par contre, connaissaient de quel bois était plantée cette dernière, et encore moins ceux qui pouvaient soupçonner ce qui se tramait derrière. Connu pour être, malgré une arrogance toute apparente, une simple devanture de sa confrérie et le perroquet officiel de Khayrat Chater, hiérarchiquement le numéro 2, mais en fait le chantre de cette organisation, Morsi se refusa à prendre conscience de la réalité. Réduisant un phénomène qui stupéfiait pourtant le monde entier à une simple tempête dans un verre d’eau, il n’a pas trouvé mieux que de lui opposer un entêtement insensé, s’accrochant à cette même légitimité présidentielle que remettait précisément en cause la gigantesque mobilisation populaire. Complètement lévité et hors du temps il ne put, également, apprécier à sa juste mesure l’ultimatum que lui a adressé, par la suite, l’armée, en vue de parvenir à un compromis avec l’opposition, et crut bon de répondre au général Al-Sissi, qui tentait de le ramener à la raison «moi ou le chaos», avant d’enchérir «moi ou le sang». En fait, le chaos et le sang s’étaient déjà propagés, notamment au Sinaï, depuis un an, et si quelqu’un en Égypte en connaissait parfaitement bien les raisons, les instigateurs et l’étendue c’était encore bel et bien le général Al-Sissi. Le face-à-face tourne au vinaigre. Morsi opte de croiser le fer avec l’institution militaire qui soutenait le mouvement Tamarod. Il menace, d’abord, de limogeage le patron d’une armée qui, même quelque peu en retrait de l’exercice direct du pouvoir politique, tient, en fait, depuis six décennies les rênes du pays. Il monte, ensuite, d’un cran : «Si jamais, lui signifie-t-il, l’armée tente de sécuriser le rassemblement – prévu à la date ci-dessus sur la place Tahrir – je ferai assiéger le Caire par des centaines de milliers d’adeptes de la confrérie pour l’en empêcher.» Le général lui répliqua froidement, avec un accent seigneurial : «Pourvu que vous le fassiez, cela me permettrait de les raser d’un seul coup.» «Les Américains ne vous laisseront pas faire», conclut Morsi, avec une superbe toute incongrue. Mais vite conscient que ses bravades étaient oiseuses, il baisse culotte et quémande pour lui-même, sa famille et quelques membres de l’entourage, des garanties pour leur départ vers l’étranger, que lui avait préalablement proposées le général Al-Sissi avant que celui-ci ne se ravise. Morsi et ses acolytes qui l’encourageaient, voire le contraignaient, en coulisse, à la radicalisation avaient vite oublié qu’ils traînaient, tous, derrière eux de lourdes casseroles et que la probabilité des poursuites judiciaires, au moins dans l’affaire de l’évasion de la prison en 2011 et celle dite du «chameau», planait comme une épée de Damoclès sur bon nombre d’entre eux, le président en premier lieu. Ils étaient, surtout, loin d’imaginer que la destitution du premier soulèverait le couvert sur toute une toile d’ahurissantes accointances et collusions avec l’étranger, dont s’était rendue coupable la confrérie, et qu’elle engluerait dans son sillage cette dernière, par ailleurs en instance d’interdiction, dans une véritable nasse de crimes de tous genres qui, en bonne logique, ne manqueront pas d’occuper pour un certain temps et la justice du pays et le bourreau national. Bon nombre d’observateurs de la scène égyptienne redoutaient des temps difficiles pour le pays. Il fallut la destitution de Morsi pour que se lève un large pan du voile qui couvrait les soubassements exacts de son élection et les sombres perspectives qui se profilaient derrière son éphémère mandat. Des voies exigent, déjà, tout l’éclairage nécessaire sur les dessous et les falsifications qui l’ont accompagnée, et demandent les témoignages du maréchal Tantaoui et du général Sami Annan qui avaient, communément, dirigé le pays pendant la transition. En effet, les premières investigations judiciaires, dont font l’objet la quasi-totalité des membres de la direction suprême de la confrérie et toute une panoplie de seconds couteaux qui se trouvent actuellement sous les verrous, révèlent que cette organisation, connue pour être le fer de lance d’une nébuleuse politico-spirituelle internationale, se préparait à sortir l’Égypte de la carte géographique et à remiser à jamais son histoire multimillénaire. Considéré, déjà, conquis et censé constituer le premier jalon du futur empire islamique, le pays des Pharaons, était, en effet, promis à une entreprise de dépeçage territorial dépassant tout entendement. La ville d’Alexandrie et une bonne partie de cette région devaient être érigées en pays copte. Plus de 1 600 km2 dans le nord du Sinaï devaient être bradés au profit de Hamas, pour la création du Grand Ghaza. Cette cession s’inscrivait dans l’optique de la théorie dite «pays de rechange» en lieu et place de la Jordanie, pour résoudre le problème palestinien et rassurer Israël. La région de Halayab et Chalati devrait passer au Soudan qui la réclame, en contrepartie de la perte du territoire de Darfour devenant souverain. Des puissances occidentales devaient, elles, bénéficier, communément, en compensation de leur implication dans ce satanique dessein, du privilège de la gestion de la stratégique zone du canal de Suez, sournoisement réinternationalisée sous couvert d’une administration autonome relevant exclusivement du président, échappant, ainsi, au droit de regard du reste du pays et des institutions nationales. L’intervention de l’armée égyptienne a, donc, décapité l’hydre islamiste et planqué par terre son diabolique projet. De toute évidence, cette intrusion était inévitable, prévisible plus ou moins à moyen terme, probablement même avant la fin du mandat de Morsi s’il était arrivé à terme. Car, tout naturellement, une telle utopie ne pouvait aucunement aboutir si l’institution militaire n’était pas préalablement neutralisée. Celle-ci devait subir progressivement des restrictions humaines et matérielles au profit de la création et du développement d’une milice nationale de gardiens de la révolution sur le modèle iranien. C’était l’une des tâches primordiales que la confrérie avait assignée à Morsi. L’armée, évidemment, n’en était pas dupe, et n’attendait que le faux pas de la confrérie pour l’écraser. Le soulèvement du 30 juin n’a, donc, fait que précipiter l’évènement et la remise à l’heure des pendules.
Mohamed Mellouki
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