La rente et ses méfaits
Pour maintenir la paix sociale, certains États ayant des ressources minières, surtout pétrolières, distribuent des «rentes» à des catégories de population. Cette attitude est caractéristique des pays en déficit démocratique dont les gouvernants n’ont pas besoin de convaincre quant à la destination des impôts du contribuable pour gagner leur voix et leur confiance. Ces genres de politiques ont engendré, avec le temps, des comportements, des attitudes, des actions et réactions, des mentalités qui neutralisent tout esprit d’initiative en encourageant l’incompétence, les conduites absurdes qui produisent les injustices. L’incompétence neutralise toute bonne volonté en rendant inopérants toute action, toute initiative et tous les plans aussi «intelligents» qu’ils soient. L’esprit rentier a toujours été réfractaire à l’esprit d’initiative. Tous les problèmes viennent bien de cette funeste rente, issue des ressources minières, dont la gestion est problématique. La rente est un revenu sans contrepartie, assuré sans risque et sans effort. Elle est contraire aux règles du marché et de la concurrence et s’oppose à l'acte de production. La rente induit des besoins en faisant augmenter la demande, ce qui fait d’elle une des causes de l’inflation et de l’augmentation des importations qui font le bonheur des partisans de «l’import-import» qui doivent souhaiter que le pays ne construise surtout pas d’usines de «substitution des importations» ! Toutes les carences, corruptions, négligences, impunités, abus viennent de cette manne pétrolière «bienfaitrice» et «corruptrice», qui annihile l’effort, pervertit les consciences en encourageant les convoitises, la collusion, la paresse et l’incompétence, génère des idées et comportements abusifs et prédateurs. D’où cette course folle et insolente pour profiter à qui mieux mieux de cette manne providentielle : qui pour ses projets improductifs, qui pour des prêts souvent sans remboursement, qui pour des salaires mirifiques, qui pour des avantages dont fiscaux, qui pour des aménagements, réaménagements, réameublements coûteux pour se distinguer, qui dans le cadre de lignes de crédit, qui pour des prises en charge, missions ou soins à l’étranger, qui pour des dérogations afin d'échapper aux taxations, qui pour des associations «satellites», qui pour des terrains à bâtir ou des logements sociaux pour la revente, qui, qui… L’esprit rentier détruit les valeurs humaines qui font le pacte social. Il engendre l’immobilisme, provoque la discrimination et l’injustice, encourage l’informel. Un État où l’économie informelle domine est un État informel et non de droit. On se souvient d’une intervention de l’ex-Premier ministre Ouyahia à l’APN lorsqu’il avait fait observer que l’Algérie n’avait pas «besoin prioritairement de capitaux étrangers», mais qu’elle était «cruellement en manque de savoir-faire, de technologie, de management moderne et de partenaires à même d’ouvrir demain d’autres marchés à des productions en association». Qui peut les assurer sinon les compétences toujours en «jachère». C'est la raison pour laquelle nos entreprises et institutions restent instables en donnant l'impression qu’elles n’ont pas d'expérience, même si elles existent depuis des dizaines d’années ! Ces situations n’existeraient pas, du moins dans cette ampleur, si la rente pétrolière ne constituait pas 95% des revenus de l’Etat. Il y a une réalité, tant que la rente supplante le travail, la compétence et l’intelligence, tant que le système rentier dirige les consciences, dicte les actions, tant que les responsables sentent qu’ils le sont par favoritisme, tant que la duplicité et l’esprit prédateur prédominent, tant que des dirigeants restent négligents et préoccupés par la rente et son partage, tant que l’élite compétente rechigne à prendre des responsabilités, car se sentant un faire-valoir, les pays qui y dépendent ne sortiront pas de leurs contradictions et de leurs problèmes. Ils continueront à subir les révoltes récurrentes, la fuite éperdue des cadres et des jeunes, les appréhensions vis-à-vis de la chose publique, les abus de biens publics, le manque de civisme et d’insécurité, la méprise de l’autorité, la restriction des droits civiques, etc. La valeur d’un homme se reconnaît dans sa science et sa vertu et non dans sa richesse ou ses pouvoirs d’influences souvent éphémères. La force ou la puissance d’un pouvoir se mesure à l’aune du soutien que lui octroie son peuple, dont ses élites compétentes, et non par la protection volatile dont il peut bénéficier de certaines forces ou du semblant de sécurité que peut procurer la rente.
Amar Djerrad
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