Gérard Chaliand à Algeriepatriotique : «La radicalisation de l’islam ne résoudra pas la crise des sociétés arabes»
Algeriepatriotique : Vous avez présenté dans votre livre Vers un nouvel ordre mondial ? une analyse sur le parcours et les évolutions géopolitiques des grandes puissances, en démontrant le déclin des Etats-Unis et de l’Europe d’une part, et l’ascension des pays dits «émergents» d’autre part. Quels sont les facteurs déterminants de ce constat ?
Algeriepatriotique : Vous avez présenté dans votre livre Vers un nouvel ordre mondial ? une analyse sur le parcours et les évolutions géopolitiques des grandes puissances, en démontrant le déclin des Etats-Unis et de l’Europe d’une part, et l’ascension des pays dits «émergents» d’autre part. Quels sont les facteurs déterminants de ce constat ?
Gérard Chaliand : Ce déclin relatif a pour cause les contradictions internes, particulièrement sur le plan financier, du système capitaliste et, par voie de conséquence, de l'économie – ébranlement dont le système ne s'est pas encore remis – et, par ailleurs, de la montée des ré-émergents et, plus particulièrement, de la Chine. La période de l'hégémonie solitaire (1991-2007) des Etats-Unis est définitivement terminée. Cependant, ceux-ci vont continuer à être prééminents.
Quelle va être l’idéologie politique des puissances de demain ?
Je pense que l'idéologie qui a le mieux traversé le temps du XIXe au XXIe siècle demeure le nationalisme. La Chine et les Etats-Unis, pour ne mentionner que les deux plus grands, en sont l'illustration. Mais, contrairement aux apparences, notamment dans les pays musulmans, ils sont loin d'être les seuls.
Chacun y va de son interprétation sur la réalité des événements qui s’accélèrent dans le monde arabe. Pouvez-vous nous donner la vôtre ? Y a-t-il un avenir pour le monde arabe dans ce nouvel ordre mondial ?
Je note l'apparition d'une société civile non négligeable, en nombre, avec des aspirations à davantage de justice et de liberté. Je constate les résultats obtenus, d'une part, par les Frères musulmans au cours des dernières décennies et ceux, importants, obtenus à travers l'islam militant que n'a cessé d'encourager principalement l'Arabie Saoudite depuis au moins la première crise pétrolière de 1973 et qui s'est accélérée à partir de 1979 pour contrer l'Iran chiite et persan. Le djihad en Afghanistan, qui a reçu un sérieux appui de l'Arabie Saoudite – ainsi que du Pakistan, sans parler des Etats-Unis – était un djihad sunnite. La guerre de choix, entreprise en 2003 par les Etats-Unis afin de «remodeler le Grand Moyen-Orient» aboutissait à un fiasco et la montée au pouvoir des chiites renforçait précisément l'adversaire principal des Etats-Unis : l'Iran. La guerre régionale qui se livre en Syrie et à travers la Syrie est aussi un conflit entre chiites et sunnites et, plus particulièrement, les ailes les plus radicales du sunnisme. Malheureusement, on voit mal en quoi la radicalisation de l'islamisme militant peut permettre de résoudre la crise des sociétés arabes. Celles-ci ne peuvent être appréhendées que par la croissance économique, la création d'emplois et la qualité de l'éducation. Le retour au passé mythifié constitue une impasse. Faut-il rappeler qu'en 1868 (révolution de Meiji), le Japon s'est lancé dans cette course à la modernisation et qu'il y est parvenu sans perdre son âme ?
Entretien réalisé par Mohamed El-Ghazi
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