Le réalisateur Lamine Ammar-Khodja : «Il n’y a pas de cinéma indépendant en Algérie»
Les rencontres professionnelles du Festival de cinéma africain de Cordoue, qui ont débuté hier mardi pour se poursuivre jusqu’au 18 octobre, offrent un cadre pour la réflexion sur les enjeux qu’affrontent les cinémas d’Afrique. Ces journées de rencontres professionnelles, qui se dérouleront tous les matins, ont commencé en présence d’Olivier Barlet, critique français de cinéma spécialisé dans les cinématographies africaines et directeur du magazine Africultures, William M’Baye, réalisateur sénégalais, Arya Lalloo, réalisatrice sud-africaine, et le créateur algérien Lamine Ammar-Khodja. Deux séances ont eu lieu au cours de cette première journée de débats. Durant la première séance, la publication Les cinémas d'Afrique dans les années 2000 a été présentée pour la première fois au public espagnol par son auteur, Olivier Barlet. Paru en France en mai 2012 et disponible en anglais, l’ouvrage sera également traduit en espagnol. La tâche sera accomplie par les éditeurs espagnols Ocho y Medio, qui prévoient de publier le livre en espagnol en octobre 2014. Selon Marion Berger, commissaire du FCAT Cordoue, il s’agit d’un ouvrage clef parmi les écrits sur les films d’Afrique ; non seulement «le livre questionne le discours narratif qui domine l’Afrique et ses images» mais «propose [aussi] une panoplie de perspectives et de notions pour mieux comprendre les cinématographies africaines». Barlet, promoteur de la critique de cinéma en Afrique, considère que le livre se rallie à l’idée d’Achille Mbembe, qui disait que l’Europe ne constitue plus le centre de gravité du monde. Selon Barlet, l’Afrique a tout ce qu’il faut pour apprendre aux Occidentaux comment comprendre le monde, car «le continent a déjà fait la rencontre de l’autre le long de son histoire et ses habitants sont habitués à l’inattendu». Suite à cette première séance, un deuxième débat a porté sur la relation qui existe entre le cinéma populaire et le cinéma d’auteur en Afrique, ainsi que la coexistence entre eux. Pendant une heure et demie, les participants ont illustré les différentes formules qui ont déjà été appliquées dans certains pays pour faire face aux défis que cette relation comporte. Ainsi, les participants ont réfléchi sur le besoin de trouver de nouveaux canaux de distribution aussi bien pour le cinéma commercial que pour celui d’auteur. Ils ont également souligné le besoin de trouver des solutions au déficit de distribution des films africains, qui ne débouchent toujours pas sur des circuits de distribution solides, hormis en Afrique du Sud, Egypte et Maroc.
«Il y a un grand nombre de réalisateurs africains mais peu de cinéma africain»
Ousmane William M’ Baye, réalisateur du film President Dia (2012, 54’), indiqua dans son intervention que les festivals européens sont devenus une espèce de bouée de sauvetage des films africains indépendants. Néanmoins, tout n’est pas rose. M’Baye souligna que les budgets de la plupart des films réalisés en Afrique sont développés toujours en pensant au retour économique qu’ils vont générer en Europe et les possibles prix qu’ils pourront remporter dans les festivals européens. En définitive, M’Baye considère qu’en Afrique subsaharienne, il y un grand nombre de réalisateurs, mais que leurs films y circulent rarement. De son côté, Arya Lalloo a décrit la situation du septième art en Afrique en Sud en soulignant qu’il s’agit d’une expérience différente à celle des autres pays d’Afrique subsaharienne. En effet, le cinéma actuel s’inscrit dans deux grands blocs : d’une part, il y a des films qui sont subventionnés par l’Etat à travers l’entité nationale de soutien à la cinématographie (la National Film and Video Foundation) ainsi qu’à travers les différentes entités au niveau des provinces. Les films subventionnés sont essentiellement des films d’auteur ou appartenant à des genres indépendants. D’autre part, il y a les films commerciaux qui dépendent des retombées économiques qu’ils génèrent, et qui sont pour la plupart en langue afrikaans. D’où elle conclut que l’héritage de la domination afrikaner continue de se reproduire de nos jours dans l’imaginaire collectif des Sud-Africains malgré la fin de l’apartheid. Le réalisateur algérien Lamine Ammar-Khodja a souligné le besoin de soutenir la distribution en Afrique et notamment en Algérie. «Chez nous», a-t-il dit, c’est le cinéma subventionné par l’Etat qui prédomine. Par contre, les gens ne vont pas au cinéma pour voir du cinéma indépendant.» Ammar-Khodja souhaite donc que les gouvernements se mettent de côté et laissent le cinéma entre les mains des cinéastes. Pour lui, l’Etat a la prérogative d’administrer l’argent, c’est tout. Demain, les séances continueront d’explorer les enjeux des cinématographies d’Afrique à travers la parole d’un nombre de spécialistes tels que Laurence Attali, réalisatrice et productrice française, Latifa El-Berki, productrice marocaine, Narimane Mari, réalisatrice et productrice franco-algérienne, Guadalupe Arensburg, écrivaine spécialisée et Arya Lalloo, une fois de plus.
C. P.
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